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Historique des éditoriaux:

Editorial et articles de la lettre numéro 100

  du 06/10/2021

Editorial de : Jean Etèvenaux

C'est reparti !

LE RETOUR DES SALONS

Ce petit mot d’introduction qui permet de renouer avec nos activités s’articulera en trois points : nos prochaines dates de réunion, notre centième numéro et les salons du livre à venir.
Sous réserve de l’habituelle confirmation de l’administration — qui nous est aussi favorable avec Pierre Oliver, le nouveau maire du IIe arrondissement, qu’avec Denis Broliquier, son prédécesseur, nous nous retrouverons dans la salle François Sala les jeudis 7 octobre, 2 décembre, 3 février, 7 avril et 2 juin.
Ce numéro des Lettres de la Sélyre se présente de manière un peu plus fournie non seulement à cause de l’interruption de nos activités pendant le gros de la pandémie mais aussi parce qu’il s’agit de sa centième livraison. Alain Horvilleur avait lancé ce bulletin en juin 1993, il y a vingt-huit ans. Nous sommes donc heureux de continuer à vous offrir ses services, avec de nou-velles signatures.
Enfin, même si certaines rencontres, comme celle de Sainte-Foy-lès-Lyon, ne pourront pas se tenir cette année, on peut déjà annoncer les salons du livre de :
- Nantua, le samedi 26 et le dimanche 27 juin (voir pp. 4-5)
-     Chevinay, le dimanche 3 octobre 2021 (voir l’affiche en dernière page)

Meximieux, les samedi 9 et dimanche 10 octobre
-     Attignat, le dimanche 10 octobre
-     Mornant, le samedi 13 et le dimanche 14 novembre.

LA CHRONIQUE DE MICHEL LOUDE

« Comprendre pour savoir, secouer l’arbre de l’Histoire pour que les fruits tombent… » En ce sens, la recommandation ci-dessus prend un sens pleinement justifié à la lecture de l’ouvrage percutant que nous propose Jean-Marie Rouart, Les aventuriers du pouvoir.
L’auteur nous donne une analyse circonstanciée de ce que peut être l’envers du décor des grands hommes qui ont fait l’Histoire, une version en creux dont il s’attache à montrer ce qu’ils ont pu subir en déconvenues di-verses : trahisons multiples, décisions malencontreuses souvent inspirées par des conseils fallacieux, attentats… Il y a aussi les doutes sincères, les envies d’en finir, les échecs à répétions, les hésitations funestes, l’entêtement inutile, bref, c’est l’inversion d’une tradition acquise qui surprend, qui étonne, que l’on découvre avec ébahissement, des situations qui n’ont bien évidemment jamais été mentionnées dans les manuels traditionnels dédiés aux scolaires… et aux publics divers. Ils s’appellent Napoléon « à la sombre destinée », Ber-nis, « le cardinal des plaisirs », ou Morny, « un voluptueux au pouvoir ». On retrouve de Gaulle, Mitterrand, Giscard, Chirac, Taubira et bien d’autres con-temporains, tous sont passés par la râpe de la fine moulinette de Rouart qui, en psychologue averti et en témoin patent, ayant approché ces illustres person-nages, a pu en tirer la quintessence spirituelle et affective, où l’on s’aperçoit que nos héros portent en eux «  la forme entière de l’humaine condition… » comme tout un chacun !

Un  nouveau soir sur la terre

Le parc désert résonne du croassement des corneilles. C’est leur grande affaire du jour. Combien sont-elles, virevoltant au-dessus de moi, se perchant sur les toits, se posant soudain au faîte des cèdres ? Aucune d'elles ne picore au sol. La réunion à l’heure où le soleil couchant enflamme l’horizon paraît sévère. Lorsque l’une semble imposer son cri, aussitôt c’est cacophonie des plus assourdissantes. Le tintamarre reste bref, le temps les uns et les autres de changer de place ou de se poursuivre, que sais-je ? La cloche de l’église Sainte-Thérèse égrène de son tintement clair les cinq coups de 17 heures. Je lève les yeux dans sa direction et apparaît au même moment une envolée sup-plémentaire venant de l’est. Comme une armée à l’assaut des nichées de toutes les nanties blotties dans les recoins de l'imposant bâtiment de l'ancien séminaire. Je suspends mon attention. Curieux de l’évènement à venir.
Et il fallait s’y attendre, le bruit produit par des dizaines de volatiles de-vient infernal. On distingue à peine le croa individuel tellement tous se con-fondent en une partition musicale digne du déchaînement d’un groupe de hard rock. C’est âpre, c’est aigu, criard. Toutes les nuances des deux à trois notes de leur cri sont élevées à l’extrême. Je me demande si ce regroupement soudain désigne une bataille ou des retrouvailles. En tout cas, il ne semble pas y avoir de pertes en terme vital et, bizarrement, tout en continuant à se cha-mailler, ce petit monde se déporte en une nuée disparate vers le sud. Le calme revient. Je me sens bien. L’appel d’une maman, la frappe d’un ballon, le bon-soir sonore d’un voisin qui me croise mais surtout place aux piaillements des petits passereaux, enfin débarrassés de l’ambiance guerrière de leurs congé-nères à la funeste robe noire  Plus de clameurs, mais quelques longues trilles, fines, ruisselantes comme l’eau d’un ru au milieu des prés. Le soleil a disparu. Les collines de l’Ouest lyonnais se découpent à présent telles des ombres chi-noises dans le ciel d’un nouveau soir sur la terre. Je vais rentrer.
Alfred de Loyarac

Yoga, d’Emmanuel Carrère

À la sortie de son dernier ouvrage, Emmanuel Carrère annonce « un petit livre souriant et subtil ». Voire… Nous le retrouvons d’emblée dans un enclos monacal, au fond du Morvan, isolé pour 10 jours, assigné volontaire à son coussin de méditation, le traditionnel « zafu ». À peine a-t-il le temps de s’interroger qu’on vient le sortir de cet « enclos » : situation exceptionnelle, l’actualité le requiert à la suite des attentats de Charlie Hebdo : son ami Ber-nard Maris, a été assassiné.
Néanmoins sa pratique du yoga se poursuit dans la méditation, la respi-ration, une réflexion continuelle sur lui-même et sur la condition humaine en général pour « accéder au nirvana qui est la vie enfin réelle soustraite à l’illusion ». L’a-t-il atteint un jour ? Il a un regard distancié sur tout cela, « je suis un méditant de montagne à vaches », dit-il par comparaison avec une marche tranquille. Et puis « je me sauve de la tristesse par l’ironie ». Ce regard nous le rend proche et sensible, disons  accessible à sa longue expérience du yoga, sa connaissance des maîtres philosophes, et surtout de lui-même , jusqu’à  son internement à l’hôpital Saint-Anne à Paris. Il décrit ses troubles psychiatriques, sa bipolarité avec une franchise que le lecteur pourrait prendre pour de l’indécence s’il ne se sentait pas investi d’un rôle important de témoin confident.
Cette expérience douloureuse est le point d’orgue de ce livre, sans doute sa raison d’être, mais il y a aussi tant d’autres histoires, les récits de voyages du journaliste, ses rencontres dont celle émouvante des jeunes réfugiés sur l’île de Léros, ses amitiés indéfectibles comme avec son éditeur Paul Otchakovs-ky-Laurens (P.O.L). Enfin cette curiosité inlassable pour toute forme d’art, littérature bien sûr, mais aussi musique, poésie, cinéma, etc. Quel philosophe antique disait : « Je suis homme et rien d’humain, je’ pense, ne m’est étran-ger ». Bref, les centres d’intérêt du Yoga d’Emmanuel Carrère sont multiples et passionnants.
                                                                               Claude Loude

Relire Le chant du monde, de Jean Giono,
paru en 1934 chez Gallimard

Retrouver Giono, intact et tellement plus puissant que les souvenirs de jeune lecteur qu’il nous a laissés, fut un choc, une claque, un retour à l’essen-tiel qu’on avait presque perdu de vu !
Plus que jamais Le chant du monde s’impose comme un texte lyrique et fondateur, qui offre à notre cécité la perception d’une énergie fondamen-tale source de toute forme de vie. Nous puisons dans cette lecture le sel, l’humus et le surgissement de la vie, car Giono, qui aime la vie pardessus tout, partage ses émotions, c’est un don. « Tout de suite j’ai écrit pour la vie, j’ai voulu saouler tout le monde de vie. J’aurai voulu pouvoir faire bouillonner la vie comme un torrent et la faire se ruer sur tous ces hommes secs et dé-sespérés, les frapper avec des vagues de vie froides et vertes, leur faire monter le sang à fleur de peau, les assommer de fraîcheur de santé et de joie, les déraciner de l’assise de leurs pieds à souliers et les emporter dans le torrent. » (Refus d’obéissance, p. 20).
L’histoire est celle de la fusion de toutes les composantes de la nature et de personnages soumis à une destinée qui les dépasse, tels des héros an-tiques qui seraient emportés par le fleuve du haut pays de la Durance.
La trame consiste en la recherche d’un besson (jumeau) par son père Matelot et son ami Antonio, disparu au cours de l’été en amont du fleuve. C’est une quête au cours de laquelle deux clans de paysans vont s’affronter. Le besson, par amour, a enlevé Gina, la nièce d’un des plus importants éle-veurs de taureaux de la région des montagnes, Maudru, qui, dès lors, mène une chasse à l’homme sans pitié avec ses bouviers, afin de reprendre Gina destinée à un autre homme. Le besson, fou de haine après le lâche assassi-nat de son père par les hommes de Maudru, accompagné d’Antonio, met le feu à la ferme des taureaux dans une nuit d’apocalypse.
Le fleuve ramènera Antonio, le besson et leurs fiancées, Gina et Clara, dans leur pays, bien en aval des rudesses de ces contreforts de montagne. Antonio, l’homme sublime, dans la force de l’âge, sculpté par le fleuve, em-porte Clara et ses yeux couleur de menthe, aveugles, pour lui faire connaître intimement le chant du monde et toutes ses merveilles.
« Clara tourna son visage vers Antonio.
- Tonio !
    « Elle avait presque crié avec un roucoulement dans la gorge comme des pigeonnes. Elle resta lèvres entrouvertes à mordre le nom.
    « Antonio conduisait.
« Il regardait là devant le mystère des ombres et l’éclat des fleurs. Il faisait entrer le radeau dans l’ombre puis dans la lumière. Il savait si Clara voulait l’ombre. Il le voyait au mouvement de cette bouche, au pli qui cou-rait sur sa joue, au soupir. Il poussait le radeau dans l’ombre. Il savait si Clara voulait la lumière. Il poussait le radeau dans la lumière. Il savait si Clara voulait des branches. Il poussait le radeau dans les feuillages bas et le visage de Clara écartait les feuilles fraîches. Il sentait qu’elle avait sou-dain besoin, grand besoin tout de suite, de fleurs, de cette odeur de bête chaude et il tirait la barre de toutes ses forces, et le radeau frappait du flanc contre le tronc des arbres, et la poussière des fleurs tombait sur Cla-ra, et elle avait alors de longs soupirs sombres et un grand détachement dans son corps comme si tous ses nerfs se dénouaient. » (p. 279).
C’est un roman écrit au scalpel, aussi dense que la patte d’un tableau de Van Gogh, aussi fouillé qu’une gravure de Dürer, aussi brutal qu’un Goya, aussi coloré qu’un Monet. Ce texte est une révélation, la naissance du monde est en gestation.
Odile Gasquet

 

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