Editorial de : Jean Etèvenaux
Daguerréotype de 1838, l’année du poème de Théophile Gautier
EN GUISE D’ÉDITORIAL
Comme, pour son bonsoir, d'une plus riche teinte,
Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte,
Ébauchée à grands traits à l'horizon de feu ;
Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre,
Semblent les deux grands bras que la ville en prière,
Avant de s'endormir, élève vers son Dieu.
Ainsi que sa patronne, à sa tête gothique,
La vieille église attache une gloire mystique
Faite avec les splendeurs du soir ;
Les roses des vitraux, en rouges étincelles,
S'écaillent brusquement, et comme des prunelles,
S'ouvrent toutes rondes pour voir.
[…]
Car les anges du ciel, du reflet de leurs ailes,
Dorent de tes murs noirs les ombres solennelles,
Et le Seigneur habite en toi.
Monde de poésie, en ce monde de prose,
À ta vue, on se sent battre au cœur quelque chose ;
L'on est pieux et plein de foi !
Aux caresses du soir, dont l'or te damasquine,
Quand tu brilles au fond de ta place mesquine,
Comme sous un dais pourpre un immense ostensoir ;
À regarder d'en bas ce sublime spectacle,
On croit qu'entre tes tours, par un soudain miracle,
Dans le triangle saint Dieu se va faire voir.
Théophile Gautier, Notre-Dame, in La comédie de la mort (1838)
Genève, un salon du livre accueillant
Après avoir apparemment donné satisfaction aux lecteurs, aux éditeurs et aux auteurs avec + 10 % de ventes et 90 000 entrées en cinq jours, le 33e salon du livre de Genève a fermé ses portes le 5 mai ; mais, l’an prochain, il se tiendra du 28 octobre au 1er novembre. Il a fourni une nouvelle opportunité aux Genevois, aux Suisses romands et aux Français frontaliers — qui ont profité du 1er mai pour y venir — d’avoir un contact direct avec le livre et le monde de la lecture. Les activités parallèles, culturelles et ludiques, ont donné au public des occasions d’un contact qu’il n’a pas toujours facilement avec ce type bien particulier de produit.
Il faut louer les organisateurs pour avoir su, particulièrement ces dernières années, recentrer le salon et l’aérer pour en faire un espace à la fois convivial et pratique, avec des lieux de restauration de qualité et variés et des aires de jeux éducatifs. Cela était sensible dès l’entrée, avec tout ce que proposait Barcelone sous forme d’invitation au voyage dans le présent et le passé, sur la Plaza Real comme dans les livres d’histoire. Hôte d’honneur, la Fédération Wallonie-Bruxelles apportait la richesse d’une gamme très large, de la recherche scientifique à la bande dessinée.
Ce dernier mode d’expression tenait une place multiforme dans le salon, donnant aux visiteurs l’occasion de découvrir ce qui vient de Romandie (la Suisse francophone) et d’ailleurs. Un grand auteur comme Derib allongeait les séances de dédicaces, particulièrement pour L’aventure d’un crayon, publiée à Montreux par AS’Créations. Un éditeur inventif comme Cabédita, de Bière, présentait son premier album, sous la signature de Samuel Embleton, une intéressante Garde à la frontière. La 14-18 des soldats suisses en bd. Bien entendu, le Genevois Paquet développait les talents qu’il a su rassembler — dont des Français — dans des directions toutes marquées par la qualité : les quatre tomes de Gung Ho, de Benjamin von Eckartsberg et Thomy von Kummant, Le Roi Singe de Chaiko, Afrikakorps d’Olivier Speltens ou le troisième volume des Aventures de Betsy, d’Olivier Marin et Jérôme Phalippou. La Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg racontait Les aventures suisses de Tintin sous la plume de Jean Rime — par ailleurs auteur de Bédédicaces aux éditions Montsalvens —, tandis que les éditions montréalaises Hurtubise laissaient à Tristan Demers le soin de révéler Astérix chez les Québécois.
Indissociable du salon de Genève, l’Afrique était présente aussi par la bd, telles les séries de Simon Mbumbo, Vaudou Soccer et Akkey, publiés aux éditions Toom, qu’il a fondées à Orléans. Pour la littérature générale, à côté des grandes maisons comme Présence africaine, on rencontrait aussi Wa’wa éditions, où Véronique Diarra raconte Agnonlètè, une vie d’amazone. Enfin, saluons la prouesse des Presses polytechniques et universitaires romandes de Lausanne, qui ont obtenu la traduction française du best-seller américain de Walter Isaacson, Léonard de Vinci.
Jean Étèvenaux
Le christianisme à travers quelques livres
Les épreuves que traverse le monde chrétien amènent à s’interroger en profondeur sur ce qui constitue l’essentiel de la foi. Consacrés à l’Histoire ou à l’actualité, tournés vers des problèmes spécifiques ou des personnages particuliers, mettant en avant la théologie ou des témoignages, un certain nombre de titres aident à approcher ce qu’est l’Église et pourquoi tant de gens ont fait ou font confiance à celle qui veut apporter le Christ à tous les hommes.
Jean-Christian Petitfils égrène ainsi son Dictionnaire amoureux de Jésus (Paris, Perrin, 2017 [1re édition : Plon, 2015], 640 pages). Stephen Backhouse, lui, raconte l’Histoire du christianisme. Le guide des grandes étapes (Paris, Salvator, 2014 [édition originale en anglais : 2011], 208 pages). Grâce à Cristiano Donigni et Ilaria Ramelli, on découvre une vieille réalité méconnue, Les apôtres en Inde. Dans la patristique et la littérature sanscrite (Neuilly-sur-Marne, Certamen, 2016 [édition originale en italien : Milan, Medusa, 2000], 172 pages). Un bon exemple d’enracinement régional est décrit par Bernard Rio dans Le livre des saints bretons (Rennes, Ouest-France, 2016, 428 pages).
Pour en saisir l’universalité, Jean-Dominique Durand et Claude Prudhomme ont dirigé une étude sur Le monde du catholicisme (Paris, Robert Laffont, 2017, LXXVIII + 1458 pages). Françoise Hildesheimer propose Une brève histoire de l’Église. Le cas français IVe-XXIe siècles (Paris, Flammarion, 2019, 480 pages). Emmanuel Pisani présente les réponses de toute une équipe à 100 questions sur l’Église (Perpignan, Artège, 2013, 170 pages). Les cardinaux Robert Sarah et Gerhard Müller expriment sans ambages leur foi puisque chacun affirme : Je crois en l’Église (Paris, Téqui, 2019, 64 pages). Plus généralement, François Huguenin parcourt Les voix de la foi. Vingt siècles de catholicisme par les textes (Paris, Perrin, 2015 [1re édition : 2012], 1 000 pages).
À côté du catholicisme, Antoine Arjakovsky explique : Qu’est-ce que l’orthodoxie ? (Paris, Gallimard, 2013, 640 pages). Alain Besançon expose Le protestantisme américain. De Calvin à Billy Graham (Paris, Éditions de Fallois, 2013, 240 pages). De son côté, Jean-Pierre Bastian se penche sur La fracture religieuse vaudoise, 1847-1966. L’Église libre, “la Môme“ et le canton de Vaud (Genève, Labor et Fides, 2016, 404 pages).
À l’heure où l’on redécouvre le vocable de Notre-Dame, Jean-Louis Benoit et ses collaborateurs rappellent ce qu’a été La Vierge Marie dans la littérature française. Entre foi et littérature (Lyon, Jacques André éditeur, 2014, 2 + 398 pages). Quant au pape François, avec Marco Pozza, il dit tout simplement : Je vous salue, Marie (Montrouge, Bayard, 2019 [édition originale en italien : Vatican / Milan, Libreria Editrice Vaticana / Mondadori Libri, 2018], 168 pages). Tout est résumé par les auteurs réunis par Fabienne Henryot et Philippe Martin dans leur Dictionnaire historique de la Vierge Marie (Paris, Perrin, 2017, 576 pages).
Sous la conduite de Bernard Sesbouë, on voit se développer L’acte théologique d’Irénée de Lyon à Karl Rahner. Les grandes créations en théologie chrétienne (Namur / Paris, Lessius Éditions jésuites, 2017, 352 pages). Loïc Theynard révèle Augustin, frère de Charles en Jésus (Lyon, Éditions Baudelaire, 2018, 82 pages). Suivent toute une série de figures : avec Sergio Luzzatto, c’est le Padre Pio. Miracles et politique à l’âge laïc (Paris, Gallimard, 2013 [édition originale en italien : 2007], 528 pages), avec Alexia Vidot, la Petite vie de Maximilien Kolbe (Paris / Perpignan, Artège, 2018, 176 pages), avec Simone Weil, grâce à François Dupuigrenet Desroussilles, Le Christ, (Paris, Bayard, 2018, 160 pages), avec Leo Maasburg (Leo), les Fioretti de Mère Teresa (Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2010, 224 pages), avec Hervé Roullet, Joséphine Bakhita. L’esclave devenue sainte (Paris, Éditions Emmanuel, 2015, 175 pages) et, avec Aimé Richardt, Lacordaire. Le prédicateur, le religieux (Paris, François-Xavier de Guibert, 2015, 240 pages) et Ozanam, le compatissant (Paris / Perpignan, Artège Le Thielleux, 2018, 156 pages).
Achevons sur un aperçu des grands pèlerinages grâce à Cristina Sicardi, qui s’attache à Fatima et la passion de l’Église (Roquepine, Le Drapeau blanc, 2017 [édition originale en italien : Milan, Sugarco, 2012], 280 pages).
Jean-Gabriel Delacour
Des bd aux confins de l’Histoire
La bande dessinée se nourrit de l’Histoire : romancée ou pas, celle-ci lui propose des scénarios et des dépaysements qui font la joie des lecteurs. Elle peut même l’aborder avec humour, ainsi que le propose Thierry Laudrain dans le premier tome de son Histoire de l’histoire de France (Bamboo), qui s’étend Du big bang à Louis XIV.
Arrivons tout de suite aux années 1620, avec deux albums extrêmement différents. Dans Keranna. L’histoire de Sainte-Anne d’Auray (Ar Gedour), René Le Honzec — bien connu pour sa mise en valeur du patrimoine breton et, du coup, mal vu dans certains milieux — fait revivre non seulement le voyant Yvon Nicolazig, mais tout le développement du pardon le plus célèbre de Bretagne.
De son côté, servi par les forts dessins en noir et blanc de Frédéric Bihel, Sylvain Venayre raconte Milady ou Le mystère des mousquetaires (Futuropolis), magnifique interprétation d’Alexandre Dumas.
Pour le XVIIIe siècle, notons une adaptation érotique de La Belle et la Bête (Tabou), avec un premier tome, Le château des mille roses ; Trif reprend évidemment plusieurs traits de ce vieux conte commun à bien des traditions. Beaucoup plus enracinées dans l’époque apparaissent deux fictions représentatives de l’époque : Corbeyran et Dzialowski relatent La guerre champagne contre tokay (Glénat) et Dufaux et Griffo présentent le deuxième tome de Giacomo C. Retour à Venise (Glénat). Mentionnons enfin la réédition, sous les auspices du Monde, du Bonaparte (Glénat / Fayard) engendré par la collaboration de Noël Simsolo, Fabrizio Fiorentino et Jean Tulard.
Le XXe siècle constitue une mine. Ainsi, Kid Toussaint et Virginie Augustin poursuivent, avec Dorothy, la poinçonneuse, l’épopée des 40 éléphants (Grand Angle), cette bande de jeunes criminelles sévissant dans le Londres du début de l’entre-deux-guerres. Pour la même époque, mais en Allemagne, Arne Jysch adapte le roman de Volker Kutscher, Babylon Berlin (Glénat) — qui a par ailleurs donné lieu à une bien connue série télévisée. De l’autre côté de l’Atlantique, toujours à peu près au même moment, Olivier Berlion suit les pas d’une jeune immigrante polonaise, Agata (Glénat), dans un premier volume où elle découvre Le syndicat du crime.
Achevons avec une région et des régimes encore peu traités par la bande dessinée : l’Europe centrale et orientale d’après 1945. Gábor Tallai et Attila Futaki font connaître leur pays à travers L’ange de Budapest (Glénat), un chauffeur de taxi californien revenu sur les lieux de l’insurrection de 1956. De leur côté, Aurélien Ducoudray et Christophe Alliel retournent seulement cinq ans en arrière, lors des derniers grands soubresauts que connut l’Ukraine, avec la première partie de Maïdanlove (Grand Angle), où se conjuguent révolte populaire et histoire d’amour.
Gihé