Editorial de : Jean Etèvenaux
Nous nous efforçons, bien sûr, de ne pas tomber dans ce travers, même si nous privilégions l’ancrage régional qui caractérise la Sélyre, ontologiquement tournée vers ce qui est d’origine lyonnaise et rhônalpine. Si vous regardez le contenu de cette livraison, vous constaterez la présence d’ouvrages d’Histoire soit dans les rubriques propres aux pays constituant Rhône-Alpes soit dans les deux intitulées « Histoire », à savoir « titres ayant un rapport avec la région » et « généralités ». Dans la première sont rassemblés tous les livres dans lesquels on trouve, disséminées en quantités très variables, des informations concernant notre région au sens large alors que, dans la seconde, il s’agit d’études réalisées par des auteurs rhônalpins sur des sujets qui ne le sont pas.
Ce numéro des Lettres de la Sélyre comporte donc des références aux variations climatiques locales au cours des siècles comme à la montée de Lyon sur la scène internationale contemporaine, à l’application de la peine de mort dans la capitale des Gaules comme aux longs séjours du roi de Thaïlande à Lausanne, à Philippe le Bel annexant Lyon comme au Burgien Marie-Joseph Lagrange, fondateur de l’École de Jérusalem, au cardinal Alphonse de Richelieu, archevêque de Lyon et frère du Premier ministre de Louis XIII, comme aux conceptions architecturales qui ont conduit Daniel Buren à reconfigurer la place des Terreaux. Ce ne sont que des exemples.
Vous le savez, le reste n’est pas négligé, puisque vous trouverez ici des romans policiers comme de la poésie, du jardinage comme de la gastronomie ou de la religion comme des voyages. Si l’Histoire tient une telle place, cela est dû au nombre d’ouvrages publiés sur le sujet, reflétant tout simplement — les éditeurs ne sont pas des fous — la demande des lecteurs. Or, les lecteurs, ce sont nous tous qui savons bien que, si l’Histoire sert difficilement à prévoir l’avenir puisqu’elle ne repasse pas deux fois les plats, elle permet au moins de mieux comprendre le présent. Sans oublier le plaisir qu’elle nous donne de découvrir les intrigues du passé.
J.E.
Une autre façon de suivre l’actualité
Qui d’entre nous n’a jamais réagi contre des actualités formatées par la pensée unique ?
Que ce soit sur les ondes ou dans notre presse écrite, la majorité des journalistes a plus tendance à vouloir flatter ceux qui les subventionnent et à nous imposer leur façon de penser qu’à nous relater les faits sans états d’âme !
Une gazette quotidienne reçue par courriel tous les matins à 7 h 30 a changé mon opinion sur eux.
Des petits articles concis et bien écrits redonnent éclat à l’art journalistique. Une preuve, s’il en fallait, que la qualité ne passe pas par la longueur, trop souvent fastidieuse, et surtout qu’il existe encore des virtuoses des mots et des formes.
Ce site — http://www.bvoltaire.fr/ — pratique l’expression libre, avec une grande variété d’auteurs. Et un mot d’ordre que l’on retrouve sur toutes les pages : « Les commentaires sont libres sur Boulevard Voltaire. Libres, ce qui ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires. À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats. »
Merci à la toile qui permet à tous ces journalistes de s’exprimer en toute liberté, et à nous lecteurs de se régaler en les lisant. Longue vie à ce site, complètement gratuit !
I.R.
On consultera avec le même profit ce que publient deux autres sites, l’Ojm, l’Observatoire des journalistes et de l’information médiatique, et Causeur. On peut s’abonner gratuitement à leurs newsletters : http://www.ojim.fr/ pour l’OJM et http://www.causeur.fr/ pour Causeur.
Clara Malraux
Clara, c’est la femme d’André Malraux. Cette biographie de Dominique Bona, élue à l’Académie française en avril, est intéressante à plusieurs titre. C’est d’abord le roman de cette passion l’un pour l’autre : très jeunes, ils se sont mariés pour partir dans de folles aventures à l’autre bout du monde. Ce désir de vivre intensément, démesurément, des causes à la limite de l’impossible ; oui, ils ont été complètement fous !
Mais c’est aussi l’histoire du XXe siècle : ils sont nés tous les deux autour de 1900 et ce récit nous permet de revisiter l’Histoire, les guerres, le colonialisme, la politique, le facisme, le communisme, la guerre d’Espagne et la Résistance, leurs interrogations puis leurs désaccords déchirants…
Enfin, c’est la position de la femme dans le couple, son écrasement par un être qui se sent un destin d’exception, écrivain et homme politique. Elle l’accusera d’être un frimeur, un trompeur un affabulateur… non, au final, il fût un grand homme fidèle à la doctrine du Général. Délivrée, elle pourra aussi être écrivain.
Passionnant !
C.R.
Dominique Bona, Clara Malraux, Paris, Le Livre de Poche, 2011 [1ère édition : Grasset, 2010], 510 pages.
Les bd du diable
Les bons théologiens expliquent que tout l’art du diable consiste à faire croire qu’il n’existe pas. C’est en tout cas un reproche qu’on ne peut adresser à la bande dessinée, tant ce personnage apparaît, directement ou pas, dans nombre d’albums récemment sortis. Peut-être cela ressort-il aussi de cette fameuse « beauté du diable » à laquelle scénaristes et dessinateurs seraient également sensibles…
Un titre comme Le curé du diable (Casterman) exprime, au-delà du cas historique — un procès en sorcellerie à Marseille au XVIIe siècle — la capacité d’Hugo Bogo à associer Dieu et le démon. On retrouve une semblable approche dans La Bête de l’Apocalypse (Glénat / Éditions du Patrimoine) : Rodolphe et Rollin mêlent habilement le XIVe et le XXIe siècle pour remettre dans l’actualité les terribles secrets du dernier livre du Nouveau Testament. Qui dit apocalypse dit aussi souvent IIIe Reich, ce qui permet à Giacometti, Ravenne et Parma de présenter, pour le deuxième tome de Marcas, maître franc-maçon (Delcourt), une fantaisie égypto-maçonnico-nazie, Le rituel de l’ombre.
Derrière des morceaux d’Histoire relevant apparemment de la religion d’une manière très classique, on découvre là aussi des comportements diaboliques. Y compris dans le cadre de pèlerinages bien établis comme celui de Saint-Jacques de Compostelle : pour le deuxième tome de Campus stellae (Glénat), Saint-Dizier et Mutti mettent en scène des comportements dignes du titre du troisième volume annoncé, Le pont des trois diables. Quant à Lamy et Mikaël, leur première partie de Promise (Glénat) se révèle déjà bien inquiétante : Le livre des derniers jours montre à l’œuvre un bien étrange prédicateur juste après la guerre de Sécession.
À la limite de la science-fiction, certains albums apportent leur dose d’adrénaline. Ainsi Muñoz et Garcia décrivent le début de La terre des vampires (Les Humanoïdes associés) en reprenant le titre d’un des livres de la Bible : Exode. De leur côté, pour le deuxième épisode de Mermaid Project (Dargaud), Léo, Jamar et Simon emmènent le lecteur vers des créatures pas très éloignées de Frankenstein ou de celles du Dr Moreau.
On ne sait plus très bien dans quel univers on se déplace avec le début des Temps morts (Delcourt) : les Murmures décrits par McCann, Esquejo et Alphona dans le style de la nouvelle école réaliste américaine demeurent fort troublants… Dans le même style et le même format reproduisant celui des comics d’outre-Atlantique, voici la dernière aventure du Spirit : le justicier créé par Will Eisner connaît de nouvelles aventures grâce à Hine et Moritat, avec sans doute moins d’humour mais tout autant de suspense.
Gihé
Le retour de Fantômas
Il y a juste un siècle, en septembre 1913, Pierre Souvestre et Marcel Allain achevaient en deux années le premier cycle des aventures de Fantômas dans un trente-deuxième volume évidemment intitulé La fin de Fantômas — on songe au Dernier problème, par lequel sir Arthur Conan Doyle avait voulu mettre un terme à la vie de Sherlock Holmes avant de devoir le ressusciter. En réalité, même après la mort de Pierre Souvestre, le personnage a continué à vivre, notamment par le cinéma, ce qui n’a pas manqué de le déformer plus ou moins. En outre, son côté grand public digne des feuilletons qui passionnaient les lecteurs fut appuyé par la reconnaissance d’écrivains comme Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars — « c'est L'Énéide des temps modernes » —, Max Jacob, Robert Desnos et Jean Cocteau, ce qui contribua à le hisser au rang de figure clé de l’imaginaire du XXe siècle.
Le mystérieux bandit masqué est en effet apparu à une période qui raffolait des luttes entre criminels et justiciers — Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Rouletabille, Chéri-Bibi et autres Rocambole. Cette Belle Époque était aussi celle des attentats anarchistes, mais aussi des nouveaux moyens de communication, dont les auteurs se servaient eux-mêmes, notamment grâce à la machine à dicter Edison permettant à des dactylographes de taper la nuit le texte enregistré le jour !
Le criminel masqué reste aujourd’hui plus connu par le célèbre film d’André Hunebelle interprété en 1964 par Louis de Funès, Mylène Demongeot et Jean Marais — dont le double rôle de Fandor et de Fantômas a contribué à créer une approche très différente de l’œuvre originale. Il était donc utile de refaire connaissance avec le texte de base, reconstitué à partir de l’édition de 1932 par deux universitaires spécialistes de la littérature populaire, qui se sont efforcés de corriger les multiples fautes d’impression alors commises. Grâce à eux, on se (re)plonge dans le Paris, et accessoirement dans le reste de la France, de ces années qui virent basculer un monde. Et on vit au rythme effréné des déguisements et retournements incessants mis en scène par les auteurs.
Les deux premiers volumes de plus de 1 200 pages viennent de sortir et ils seront suivis de six autres. Dans la même collection Bouquins, étaient parus, en 1987-1989, trois tomes composés des douze derniers titres écrits par Pierre Souvestre et Marcel Allain et qui constitueront les n° 6, 7 et 8 de cette nouvelle édition.
Mentionnons enfin la publication, par les mêmes présentateurs, d’un volume explicatif, Fantômas ! Biographie d’un criminel imaginaire (Paris, Les Prairies ordinaires, 2013, 184 pages), qui permet de se plonger avec force détails dans l’univers de l’impitoyable criminel.
J.É.
Souvestre (Pierre) et Allain (Marcel), Fantômas, édition intégrale établie et présentée par Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux, Paris, Robert Laffont, 2013, t. 1 : XVI + 1280 pages, t. 2 : XVI + 1264 pages