Editorial de : Jean Etèvenaux
Comme le relate Alain Larchier un peu plus loin, la journée du samedi 26 septembre a constitué un ensemble d’heureux moments pour tous les participants, membres ou non de la Sélyre. Si le soleil s’est longtemps fait désirer, la découverte de cette localité longtemps disputée entre le Bugey et le Dauphiné a permis une plongée dans l’époque non seulement de Stendhal et de Claudel mais encore de tous ces siècles si bien mis en valeur par l’association Brangues Village de Littérature, dont l’accueil nous a ravis. Le prolongement avec la réunion de l’avant-veille a été assuré par le repas à l’auberge du Fouron, où nous avons retrouvé Calenduline et ses herbes…
La bonne ambiance de cette journée devrait être poursuivie le jeudi 10 décembre lors de notre prochaine réunion ; vous en trouverez le programme en annexe. Non seulement il y aura beaucoup d’auteurs à votre disposition, mais vous serez invités à voter pour nos deux Grands Prix annuels. La liste des concurrents, c’est-à-dire des écrivains qui ont présenté leurs ouvrages lors de nos réunions, se trouve également en annexe de cette Lettre.
Enfin, sachez que, ce 10 décembre, sera annoncée une initiative destinée à mettre davantage en valeur notre action en l’inscrivant dans un cadre plus large. Elle permettra, tout en continuant nos rencontres habituelles, de profiter d’une opportunité supplémentaire pour nous faire connaître et développer notre action au service du livre. Ce que nous n’avons pu réaliser le 12 septembre à cause de la pluie, nous le ferons au mois de janvier.
Venez donc nous rejoindre ce 10 décembre !
Coup de cœur pour le prix Médicis 2015
Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai
Première nouvelle ? Titus n’aimait pas Bérénice ?
Quel titre moderne et provocateur ! Moderne, car on croirait une rumeur, circulant sur Facebook, remplissant l’espace médiatique à toute allure et provocateur, car s’il y en a bien deux qui se sont aimés, c’est Titus et Bérénice. Depuis 350 ans, Racine déploie son exceptionnel talent pour nous le démontrer.
Par ce roman, Nathalie Azoulai invite à une passionnante enquête sur qui est « ce type », Racine. Comment un homme d’apparence totalement conventionnelle pour son époque, qui avait même très mauvaise réputation d’après La Bruyère ou Diderot, a-t-il pu écrire, si bien, la douleur des femmes et le tourment des hommes un peu trop passionnément amoureux. « Si je la haïssais, je ne la fuirais pas. »
Pour ce faire, Nathalie Azoulai transpose l’acte 1 dans une brasserie, Titus quitte Bérénice, la narratrice, pour son épouse légitime. Tout bascule, rien ne semble pouvoir la consoler, et au milieu de paroles bienveillantes, d’une banalité qui l’insupporte, une citation maladroite la met sur la piste, l’entraîne sur la scène du théâtre classique. « Dans Racine, elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie… » Or, il n’écrit que 12 pièces. « Pourquoi a-t-il écrit si peu ? Qu’a t-il fait du reste de ses années ? Rimbaud dit de lui qu’il est le pur, le fort, le grand. »
Ses premiers pas, sur les traces de Racine, l’emmènent à vingt kilomètres du château de Versailles, dans le vallon de Port-Royal, détruit sur ordre du roi Louis XIV en 1712, 13 ans après la mort de Racine. La première hypothèse est posée, l’extrême tension qui habite toute l’œuvre tragique de Racine vient de cet écartèlement entre deux fidélités incompatibles, ces deux lieux, les deux sens de sa vie : l’amour de Dieu, du sacrifice et de la perfection à Port-Royal et l’amour du Roi, des fastes et des privilèges de la Cour à Versailles. Racine a été recueilli par sa tante à Port-Royal, c’est là qu’adolescent il a tout appris et s’est pris de passion pour la traduction latine, y recevant la plus stricte et intransigeante éducation, alors qu’il passera toute sa vie d’adulte sur les planches, amoureux des actrices puis à Versailles fasciné par le Roi, courtisan, jusqu’à le suivre dans ses expéditions militaires pour en retracer la gloire, hagiographe !
Par ce double attachement, profond, si bien rendu par la plume alerte et incisive de Nathalie Azoulai, Racine devient un personnage complexe, à la fois entier et ambivalent.
Et puis il y a cette enquête sur la langue, d’où lui vient cet immense talent pour la versification, mais plus encore pour faire naître des ellipses, des silences, là où l’on ne s’y attend pas. Des raccourcis qui réveillent la lecture et qui donnent à ses tragédies ce caractère à la fois grandiose et poétique, pesant et léger. Racine maîtrise parfaitement le latin et l’italien. Quelque chose dans son écriture, échappe à toute convention, cette liberté avec la langue, cette audace lui permet de faire sienne une langue qu’il malaxe et dont il pétrit ses vers.
« Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte.
Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers.
[…]Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez pas mes pas. »
L’éclat de ces vers si simples, qui par cette grâce accède à l’intemporel, fascine la narratrice et avec elle nous sommes emportés vers l’essence même du trait de génie. Nathalie Azoulai nous procure cette joie de cheminer de nouveau au plus près des bonheurs des trésors de la langue française et de la pensée classique et moderne.
Odile Gasquet
Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, Paris, P.O.L., 2015, 416 pages
Sur les pas de Stendhal et Claudel
Tout le monde était à l'heure sur la place de Brangues ce samedi 26 septembre, lorsque la dernière voiture déposa ses passagers devant l'église. La matinée était fraîche, mais le soleil promis par une météo optimiste. Un premier groupe commençait sans plus tarder la visite de l'espace d'exposition consacré à Paul Claudel et à Stendhal, mais aussi au passé historique du village. Le rez-de-chaussée dédié à l'histoire locale présentait les fantaisies du Rhône, qui s'amuse à inonder régulièrement la campagne et à déplacer ses méandres, suscitant des querelles territoriales. Mais ces fantaisies ont donné vie à une flore et une faune particulières, dont certains spécimens n'existent qu'en ces lieux.
À l'étage, une série de panneaux racontaient la vie mouvementée de Claudel, de son enfance à sa découverte de la foi, de ses voyages et de sa vie d'ambassadeur et finalement de son installation au château de Brangues. Stendhal occupait une place plus modeste, mais un parallèle intéressant entre le personnage de son roman Le rouge et le Noir, Julien Sorel, et Antoine Berthet, qui l'a inspiré, était exposé.
Le second groupe visitait pendant ce temps l'église où Paul Claudel venait chaque jour à la messe et aux vêpres, assis près de la Vierge pour qui il a écrit des prières. Puis tout le monde s'est regroupé pour entrer dans la maison Michoud de Latour datant du XVe siècle, où a sévi Antoine Berthet. L'hôtesse, très diserte sur le sujet, a fait revivre les circonstances qui ont conduit au rapprochement du jeune séminariste, précepteur, et de la mère des enfants, Jeanne Françoise Eulalie née Giraud, fille du notaire de Morestel. Éloigné par le maître de maison qui néanmoins prend soin de lui en lui trouvant un autre état, Antoine finit par développer une jalousie morbide qui le pousse à attenter à la vie de Jeanne. Stendhal s'est manifestement inspiré des minutes du procès pour décrire son personnage de Julien.
L'heure de midi approchant, le co-voiturage reprit à destination de l'auberge du Fouron où un menu inspiré par Calenduline attendait les convives. Apéritif au lierre terrestre, salade de tomates et pourpier, olives, sauce Caesar et croûtons, puis rôti de veau et gratin de pommes de terre consoude et épices. En dessert, pomme fondante à la benoîte urbaine sur sablé breton et glace au lierre terrestre. Malis côtes-du-roussillon et côtes-du-rhône grignan-les-adhémar ont coulé au cours du repas avant le montagnieu offert par Jean, notre président, qui fêtait la naissance de Luisa, sa petite-fille, et l'anniversaire de Joëlle, son épouse.
Nouveau déplacement à destination du château de Claudel, dont on avait pu admirer une maquette dans l'église. Visite guidée de l'édifice sous la direction de Marie-Victoire Nantet, une de ses descendantes. L'ensemble mériterait une description fidèle, mais qui mènerait trop loin, sans pour autant rendre compte des différents aspects des pièces, mais où, dans chacune d'elles, on retrouve l'influence de celui qui l'avait choisi pour terminer ses jours. Au point qu'il y est enterré. Et c'est sur sa tombe que se termina la visite.
Alain Larchier
La nuit de feu d’Éric-Emmanuel Schmitt il y a 25 ans
Accro des livres d’Éric-Emmanuel Schmitt depuis la lecture il y a des années de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, je n’ai pas résisté à la tentation d’emporter dans mes bagages pour le grand sud marocain, son dernier ouvrage, La nuit de feu.
Comme vous le savez déjà, la Sélyre a reçu l’auteur il y a quelques années pour la sortie de l’adaptation à l’écran de son roman Oscar et la dame en rose.
Rappelons qu’il a passé toute son enfance à Sainte-Foy-lès-Lyon et qu’il a fini ses études par une prépa au lycée du Parc avant d’intégrer l’École normale supérieur qui le fera sortir agrégé de philosophie.
Ayant touché à tous les genres littéraires — théâtre, roman, nouvelle et même cinéma —, il livre ici une nouvelle part de lui-même. Avec pudeur et retenue, il raconte l’expérience qu’il a vécue il y a 25 ans dans le Sahara, en repérage pour un film dont lui avait été confié le scénario, sur les lieux où vécut Charles de Foucauld : Tamanrasset, dans le Grand Sud algérien.
S’en suit un récit captivant, l’épopée d’une marche quelquefois éprouvante, toujours enrichissante au milieu du désert de pierres, avec les aléas des relations fortes avec les autres membres de l’expédition, touristes ou organisateurs. Sa nuit de feu, cette nuit qui donnera un sens à sa vie, il la partage sans retenue. Merci à lui…
Isabelle Rossi
Éric-Emmanuel Schmitt, La nuit de feu, Paris, Albin Michel, 2015, 190 pages
Des livres pour cuisiner
Commençons par un petit tour de France et d’ailleurs. Raymonde Charles explique : Je cuisine les recettes de Bretagne (Rennes, Ouest-France, 2015, 168 pages). Jacques Thorel déroule Le grand classique de la cuisine bretonne (Rennes, Ouest-France, 2015 [édition augmentée], 336 pages) tandis que Louis Le Cunff rassemble moult recettes dans Remarquable cuisine. Les Bretons (Rennes, Ouest-France, 2015, 48 pages). À l’autre bout du pays, Françoise Petit va plus loin en valorisant la Saveur Rhône-Alpes. Géographie d’une région gourmande (Grenoble, Glénat, 2014, 256 pages). De l’autre côté des Alpes, Leda Vigliardi Paravia vante La cuisine italienne de mère en fille (Paris, Albin Michel, 2015 [1re édition : 2000], 294 pages). Enfin, pour l’autre extrémité de la Méditerranée, Andrée Maalouf et Karim Haïdar font partager les Saveurs libanaises. Miroir de la diversité (Paris, Albin Michel, 2015, 176 pages).
Attachons-nous ensuite à quelques produits spécifiques. Jean-Yves Andant, Gérard Carpentier, Raymonde Charlon, Brigitte Leroux, Jacqueline Leymarie, Jean-Luc Mouty, Emmanuel Renault et Marie-José Strich mettent en valeur les Plats d’hiver (Rennes, Ouest-France, 2015, 78 pages). Calenduline, Christophe Monplaisir et Laurent Stubbe présentent Le petit traité Rustica des plantes sauvages comestibles (Paris, Rustica Éditions, 2014, 192 pages), tandis que Patrick Villechaize énumère Les légumes oubliés (Rennes, Ouest-France, 2015, 70 pages). Il revient ensuite à Jacques Thorel de dévoiler Les sauces (Rennes, Ouest-France, 2015, 80 pages), à Patrick Mérienne l’Atlas des fromages de France (Rennes, Ouest-France, 2015, 48 pages), à Sébastien Merdrignac Les pommes (Rennes, Ouest-France, 2015, 48 pages), à Amélie Bar Toutes les confitures (Rennes, Ouest-France, 2015, 224 pages) et à Nathalie Helal la Couleur caramel (Paris, Albin Michel, 2015, 64 pages).
Grâce à Annabelle Orsatelli, on découvre que La pâtisserie pour diabétiques, c’est permis ! (Paris, Albin Michel, 2015, 160 pages) et Marie-Sophie L. dévoile L’instant cru. Des recettes incroyables mais… crues ! Sans lait, ni œuf, ni farine… et sans cuisson (Paris, Albin Michel, 2015, 176 pages). De leur côté, Françoise de Montmollin prépare Un repas historique Moyen Âge (Rennes, Ouest-France, 2015, 64 pages) et Josy Marty Dufaut Un repas historique Renaissance (Rennes, Ouest-France, 2015, 64 pages).
Enfin, pour accompagner les divers mets, il faut se plonger, en compagnie de Gilles du Pontavice, dans Les miscellanées de la vigne et du vin (Rennes, Ouest-France, 2015, 94 pages). On peut aussi pratiquer, en suivant François Jouison, L’art de la vigne et du vin. Journal d’un château en Médoc (Bordeaux, Les Dossiers d’Aquitaine, 2014, 128 pages). On découvre, grâce à Patrick Mérienne, l’Atlas des vignobles de la Loire (Rennes, Ouest-France, 2015, 48 pages). Et rien n’empêche de franchir à nouveau la frontière pour faire connaissance, grâce à Paul Anex, André Champ, Michel Logoz, Louis Ormond, Jean-François Schopfer et Jean-Louis Simon, des Arts et métiers du vin (Lausanne / Saint-Gingolph, Éditions du Verseau / Fondation du Musée vaudois de la vigne et du vin / Cabédita, 1999, 153 pages).
J.É.
Quand la bd revisite l’Histoire
Inépuisable pourvoyeuse de scénarios, l’Histoire constitue un sérieux adjuvant pour la bande dessinée. Qu’ils la prennent brute, qu’ils la remodèlent ou même qu’ils la réécrivent sous forme d’uchronie, les auteurs donnent des albums retenant avec bonheur l’attention.
Pour le deuxième tome de Roma. Vaincre ou mourir (Glénat), Adam, Boisserie, Convard et Erbetta, partant d’une idée de Chaillet, retracent à leur manière la résistance romaine face à Hannibal : aussi inattendu que réaliste. Mariolle, Meli et Loiseau font revivre la figure contrastée de celui qui réussit à reprendre Jérusalem aux Croisés, Saladin (Glénat / Fayard). Dans la même série, Gabella, Martinello et Villard s’attachent à un personnage au moins aussi complexe, Catherine de Médicis (Glénat / Fayard), obsédée par cette France dont elle fut la régente de fait pendant les trente ans des règnes de ses trois fils…
Pour son sixième tome, L’Eldorado (Glénat), Black Crow plonge au cœur d’un mythe vivace dans l’Amérique d’autrefois ; cela n’empêche pas Jean-Yves Delitte, peintre officiel de la marine belge, de le faire rentrer au royaume d’Angleterre se réconcilier avec son passé. Tâche aussi dure pour les diverses héroïnes de la série Communardes (Vents d’Ouest), avec le talent de Lupano pour le scénario et de Mazel au dessin pour Les éléphants rouges et de Jean pour L’aristocrate fantôme. Quelques dizaines d’années plus tard, c’est Une rue en Amérique Broadway (Soleil) que Djief fait ressurgir autour de femmes et d’hommes incarnant cette époque à travers son deuxième et dernier tome.
Voici maintenant le temps de la Seconde Guerre mondiale. Péeau et Ukropina, dans un premier temps avec Le grand déménagement (Soleil), s’interrogent : 1940. Et si la France avait gagné la guerre, une histoire finalement assez réaliste quoique un peu convenue. Saada et Vassant, eux, mènent une succession de réflexions sur le fait de Juger Pétain (Glénat), directement construit sur le documentaire récemment passé à la télévision. Un ouvrage de fiction, V.I.T.R.I.O.L. (Glénat), constituant la seconde et ultime partie d’Ars Magna, permet à Alcante et Jovanovic de reprendre le thème de la science connue avec des siècles d’avance et que veulent récupérer les nazis. Ceux-ci, en tant que prédateurs d’œuvres artistiques, voient s’affronter les protagonistes américain et soviétique de La guerre des amants, que Manini et Mangin décrivent dans Jaune Berlin (Glénat). Est aussi abordé le problème incroyable — et encore mal connu — posé par Kersten médecin d’Himmler, dont Perna et Bedouel achèvent le portrait dans Au nom de l’humanité (Glénat).
Pour la période plus récente, on découvrira avec intérêt le dossier Qui a tué Kennedy ? L’enquête illustrée (Nouveau Monde Éditions) : Mishkin, Colón et Drozd s’efforcent de tout prendre en compte sans se montrer trop catégoriques. Quant à Manara, il dévoile une nouvelle face de sa personnalité et de son talent — même si les filles court vêtues se trouvent toujours là — en présentant deux sortes de contes philosophiques réunis sous le titre Demain l’Apocalypse (Glénat), qui montrent que le totalitarisme peut naître aussi bien dans le conformisme imposé par les médias que dans le bonheur factice d’êtres reprogrammés.