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Historique des éditoriaux:

Editorial et articles de la lettre numéro 109

  du 16/02/2024

Editorial de : Jean Etèvenaux

Libraires et éditeurs dans la région

Une enquête publiée à l’automne dernier par Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture auprès des 326 librairies indépendantes de
la région — avec 106 répondants, soit 32 % des librairies interrogées — a montré un maillage plus resserré qu’auparavant. Les 37
librairies supplémentaires installées depuis 2018 font évoluer le ratio du nombre d'habitants par librairie, pour atteindre 24 523 en 2023
contre 28 102 habitants en 2017 (la moyenne nationale s’établissait en 2020 à 1 librairie pour 28 418 habitants). La Métropole de Lyon bénéficie d’une densité particulièrement forte, avec 1 librairie pour 18 500 habitants, au même titre que les départements de la Haute-Loire ou de l’Ardèche. Ces librairies affichent des ratios de rentabilité légèrement au-dessus des moyennes nationales, avec des charges externes, notamment le loyer et le transport, relativement basses.
De leur côté, les éditeurs ont souvent développé une activité mixte ou se sont recentrés sur un domaine éditorial, que ce soit la littérature générale, la jeunesse ou les sciences humaines et sociales. Ils ont en moyenne publié 14 nouveautés pour un catalogue de 223 titres disponibles. La librairie reste leur canal de vente privilégié. 40 % d’entre eux affichent plus de 20 ans d’existence, ce qui amènera à terme des cessions ou des fermetures. Ils s’efforcent de travailler ensemble et de se regrouper. Cette enquête a été réalisée auprès de 166 maisons d’édition indépendantes référencées par Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture. Il y a eu 61 répondants, soit 36 % des maisons interrogées.
Les chiffres communiqués se rapportent à 2021.

Les héros de bd ne meurent pas
Puisqu’ils sont de papier, il semble évident que les héros de bande dessinée ne peuvent pas mourir. En outre, s’ils étaient tentés de les faire disparaître, leurs auteurs en seraient réduits à les ressusciter ; ainsi dut faire Arthur Conan Doyle avec Sherlock Holmes, dont les lecteurs ne pouvaient croire à sa mort dans les chutes de Reichenbach. Mais on a pu croire que, avec le décès des scénaristes et des dessinateurs qui les avaient imaginés, ils allaient quitter la scène. Tout au moins dans l’univers de la bd francophone car, de l’autre côté de l’Atlantique, s’est développé le double phénomène des syndicates, avec des propriétaires de presse imposant leurs choix et leurs auteurs, et des studios, où les personnages sont traités par une multitude d’intervenants — ce qui apparaît aussi bien dans le monde des super-héros que dans l’univers de
Disney, y compris dans ses filiales européennes. En France et en Belgique, même si des éditeurs sont devenus propriétaires de grandes séries, règne encore une certaine liberté pour animer la création. Bref, pour être une industrie, la bande dessinée conserve une vitalité propre, de surcroît encore à l’abri des modes woke, avec des héros bien vivants.
Pourtant une exception de taille doit être signalée : Tintin. Conformément à la volonté d’Hergé, le personnage n’a pas été repris à sa mort en 1983. Mais ses éditeurs et ses ayants-droit ont développé une politique qui n’est pas que commerciale et qui permet de se plonger dans les modifications qu’il a apportées à ses albums, soit en colorisant, avec bonheur, ses premières versions en noir et blanc (Tintin au pays des Soviets, Tintin au Congo et Tintin en Amérique, qui viennent de sortir en coffret), soit en publiant les strips tels que parus dans le journal Tintin avant la mise à jour définitive en album (tout récemment Les bijoux de la Castafiore).
Pour nous en tenir à la seule année 2023, la poursuite, voire la reprise, d’anciennes séries justifie un panorama qui, sans prétendre
à l’exhaustivité, n’en demeure pas moins révélateur. Pour commencer, Edgar P.Jacobs, l’inoubliable créateur de Blake et Mortimer a eu, depuis trente ans, une multitude de successeurs, le dernier opus, original et réussi, étant dû à Floc’h, Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet avec L’art de la guerre (chez Blake et Mortimer, filiale de Dargaud). Signalons la réédition de l’ancêtre de la saga, Le rayon U, écrit en 1943, et la sortie d’une suite réalisée par Christian Cailleaux, Jean Van Hamme et Étienne Schréder, La flèche ardente (même éditeur).
Autre auteur proche d’Hergé, Jacques Martin voit, selon ses désirs matérialisés par une multitude de scénarios, ses deux principaux personnages
poursuivre leur destin, toujours chez Casterman. Pour Alix, les récits classiques se poursuivent, avec une dernière parution, Le bouclier d’Achille, par Roger Seiter et Marc Jailloux ; ils sont complétés d’abord par une remarquable série se situant un peu plus tard, Alix senator, de Valérie Mangin et Thierry Démarez, le quatorzième titre mettant en scène Le serment d’Arminius, ensuite par une jolie rétrospective sur l’enfance, Aux origines, le quatrième tome montrant La reine en péril sous la plume de Marc Bourgne et Olivier Weinberg. Quant à Lefranc, Christophe Alvès et le regretté François Corteggiani ont concocté sa 32e aventure sur La route de Los Angeles, dans le monde de Beverly Hills.
Buck Danny, l’inoubliable série créée par Georges Troisfontaines, Victor Hubinon et Jean-Michel Charlier, se décline, avec toujours autant de précisions techniques et géopolitiques, à travers trois suites, publiées chez Dupuis.
Dans la courante, Gil Formosa et Frédéric Zumbiehl ont sorti le 60e tome, Air Force One, tandis que, dans celle des origines, Yann et Giuseppe
De Luca proposent Le fils du Viking noir et que, dans la « Classic », André Le Bras, Frédéric Marniquet et Frédéric Zumbiehl montrent comment
Molotok-41 ne répond plus. Tout cela permet d’évoquer aussi bien les enjeux d’aujourd’hui que ceux d’hier et d’avant-hier.
Toujours chez Dupuis, Spirou a connu beaucoup de pères successifs, à commencer par Rob-Vel, Jijé et Franquin. Si la série principale passe par un petit temps d’arrêt, tout comme ses dérivés Zorglub, Champignac, Mademoiselle J. et Supergroom, une vingtaine d’albums sont sortis sous le label Le Spirou de…, qui permet de faire revisiter le personnage par des auteurs extérieurs. Il en est de même pour Spirou et la Gorgone
bleue, belle collaboration de Dany et Yann.
Enfin, le monde de la dernière guerre mondiale est traité dans le tome 1 d’une nouvelle série, Les amis de Spirou, de Jean-David
Morvan et David Evrard, intitulé Un ami de Spirou est franc et droit… Tout cela est publié chez l’éditeur historique de Marcinelle-
Charleroi, qui a donné son nom au style du journal Spirou pour le différencier de la ligne claire de l’école de Bruxelles autour de
Tintin. Mentionnons aussi Le petit Spirou, de Tome et Janry, qui vient de donner naissance à une sorte de recueil de ses best of sous l’appellation Les plus chouettes histoires du Petit Spirou, avec un premier tome, Tu racontes n’importe quoi !
À cause d’un litige opposant à la maison d’édition la fille du dessinateur, qui aurait eu cent ans cette année et qui est mort en 1997, on a beaucoup parlé de la publication d’un nouveau Gaston. Celui-ci, Le retour de Lagaffe, a été réalisé par le Canadien Delaf chez Dupuis ; son indéniable succès repose sur une reprise souvent hilarante et fort bien croquée du commis-catastrophe.
C’est l’occasion de rappeler qu’un autre personnage de l’univers de Franquin, Le marsupilami, a connu ses propres aventures jusqu’en 2021. À son sujet, toujours chez Dupuis, est sortie une création de Zidrou et Frank Pé, La bête, dont vient de paraître le second opus ; le style graphique n’a pas grand chose à voir avec celui d’origine, mais il s’agit d’un mélange de tendresse et de description des années 50 tout à fait remarquable.
Également typiques du style de l’école de Marcinelle, même si la série est actuellement éditée par Le Lombard, les histoires des Schtroumpfs continuent à vivre leur vie, chapeautés par la famille de l’excellent Peyo, avec même de nouvelles séries comme Les schtroumpfs et le village des filles, d’où le dernier titre, L’île vagabonde. Dans la courante, le 41e album présente un très inattendu Gargamel l’ami des schtroumpfs. Et, selon une pratique se développant de plus en plus, est proposée par ailleurs « une aventure des schtroumpfs d’après Peyo », due à Tebo, qui reprend l’oeuvre dans un graphisme très simplifié en posant la question : Qui est ce schtroumpf ?
Comment oublier Lucky Luke, passé autrefois de Dupuis chez Dargaud par le biais de Lucky Comics ? Toujours chez cet éditeur (autrement dit Dargaud), en attendant un album de la série courante, Blutch a réalisé, sans prétention et sous forme d’hommage, mais dans un graphisme légèrement caricatural, Les indomptés, dont l’histoire met aux prises le cow-boy solitaire avec une curieuse famille, difficile à gérer.
Quant à Astérix, il se porte très bien, si l’on en croit les chiffres de vente (plus d’un million d’exemplaires pour le dernier).
Après la publication d’un album illustré reprenant le film L’empire du milieu (éditions Albert René), Fabcaro et Didier Conrad ont
élaboré L’iris blanc (Hachette) où l’on apprend comment, selon les propos d’un nouveau conseiller de César, canaliser ses pulsions
pour les transformer en une force constructive… On reste ainsi dans la grande tradition de Goscinny et Uderzo brocantant gentiment la société contemporaine. Profitons-en pour mentionner que le chien d’Obélix vit sa propre vie dans la série Idéfix ; cette troisième
mini-saga, réalisée un peu hâtivement par une pléiade d’auteurs, toujours chez Albert René, a récemment produit Idéfix et le druide.
Enfin, Corto Maltese. Une trentaine d’années après la mort d’Hugo Pratt, l’histoire s’est déplacée à notre époque : Martin Quenehen et Bastien
Vivès, pour faire découvrir La reine de Babylone (Casterman), plongent le lecteur dans les Balkans de la récente guerre civile. C’est intéressant, il y a un bel usage de l’ombre et de la lumière, mais il s’agit d’autre chose.
Tout le problème de la bande dessinée prolongée et renouvelée — toutes n’ont pas été ici présentées — se trouve là. Peut-on, et si oui comment,
prolonger des oeuvres après leurs auteurs, sans tomber dans le pastiche ou la resucée ? Cette question concerne d’ailleurs la littérature dans son ensemble et, bien sûr, il n’y a pas de réponse univoque.
Gihé

 

 

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