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Historique des éditoriaux:

Editorial et articles de la lettre numéro 76

  du 14/08/2015

Editorial de : Jean Etèvenaux

« Hier est un derrière
pas toujours bien plaisant.
Demain est un mystère
que l’on va poursuivant.
Ceux-là sont des chimères,
des songes faux-semblants.
Offrez-moi tant qu’à faire
cadeau plus consistant,
par exemple un présent ».

Voici l’un des courts poèmes qui se trouve dans le recueil La bonne étoile qui a reçu le prix André Seveyrat. Nous avons été très heureux, lors de la réunion du 2 avril, de célébrer Maurice Riguet, notre lauréat, d’autant plus que le maire du IIe arrondissement, Denis Broliquier, nous avait fait l’amitié de se déplacer pour lui remettre la médaille commémorative.

L’assistance s’est avérée assez fournie et, parmi elle, un auteur aux talents poétiques et littéraires déjà connus et reconnus, Patrice Queneau. Lui et d’autres avaient invité plusieurs de leurs amis et cela nous a permis de faire connaître la Sélyre à un certain nombre de nouvelles têtes et de nouveaux cœurs — car, comme disait Saint-Exupéry, « on ne voit bien qu’avec le cœur ». Surtout quand on parle de poésie, il faut savoir dépasser le petit cercle des initiés pour en faire profiter le public le plus large possible.

C’est la raison pour laquelle il convient de lancer un appel pour l’édition 2015 du prix André Seveyrat. Concourez vous-même et faites concourir vos amis et relations. Il suffit, selon l’article 2 du Règlement, d’avoir « publié dans l’année écoulée à compte d’éditeur », étant entendu qu’« aucune référence à l’environnement régional n’est demandée ». Que les auteurs intéressés prennent contact avec la Sélyre.

Nous espérons aussi que des poètes participeront au salon du livre de Sainte-Foy-lès-Lyon qui se tiendra le dimanche 22 novembre prochain. La Sélyre figure parmi les partenaires et aide à la réalisation de cette première édition. Là aussi, que les auteurs intéressés se fassent connaître.

Enfin, en attendant de vous donner plus d’explications lors de notre réunion du jeudi 25 juin, retenez déjà la date du samedi 26 septembre. Notre sortie annuelle nous emmènera à Brangues, sur les traces de Paul Claudel mais aussi de Stend 

Éternel San-Antonio

Nouvelles Aventures de San Antonio, À découper selon les pointillés nous emmène dans l’univers d’un être à l’esprit démoniaque et pervers où les jeunes donzelles ne se font pas tous trucider, fort heureusement pour elles. Quoique… Quant aux donzeaux, difficile d’échapper à leurs destins !

Derrière l’enquête rondement menée, les amateurs de S-A retrouveront tous les ingrédients qui font le succès de ce célèbre commissaire et de son acolyte, l’inspecteur Bérurier : truculence du vocabulaire, style fleuri, jeux de mots so frenchie (Anti-Gones de La Nouille...), interpellation du lecteur par l’auteur, etc.

Bref, avec sa verve inégalable, Patrice Dard se plaît à jouer en 300 pages avec ses lecteurs… qui ne demandent d’ailleurs que cela.

Un bon cru à boire comme du manicle (1) : sans hésitation !           R.D.

(1) rouge ou blanc, le manicle — dont une partie du vignoble fur propriété de Brillat-Savarin — est un des meilleurs vins du Bugey.hal. D’ailleurs, le premier était, entre autres, poète et le second était très attiré par la poésie.

 

Le salon de Nantua entre bd, polar et ramequin

Placé sous le thème du polar et patronné par la Sélyre, le salon du Livre de Nantua s’est déroulé les 28 et 29 mars. Il a attiré plus de 800 personnes venues découvrir 70 auteurs et éditeurs de Rhône-Alpes, de Franche-Comté, d’Auvergne mais aussi de Provence-Côte d’Azur.
Le public a apprécié la disponibilité, la simplicité et la verve truculente du parrain du Salon, le san-antonionesque Patrice Dard. « Je reviendrai avec bonheur », a-t-il conclu.
Autre figure présente, le papa de la bd Léonard, Bob de Groot, venu spécialement de Bruxelles. Très à l’écoute de tous, le scénariste et dessinateur belge a apprécié ce salon « avec une organisation parfaite ». 
Ces deux auteurs ont remis les prix de la Dictée du Haut-Bugey, rédigée par le président de la Sélyre Jean Étèvenaux qui avait concocté avec un malin plaisir un texte comportant de nombreux pièges orthographiques et grammaticaux.

 

Réfléchir grâce aux livres

Sans se prendre forcément très au sérieux, divers auteurs invitent à la réflexion sur des sujets où ils ne manient guère la langue de bois, préférant aller à l’encontre des idées reçues ou s’interrogeant sur une situation dont ils ne se satisfont pas. Voici donc quelques observations et questions.
Sous une forme amusante, Léo Scheer décrit toute une génération dans Quand les Tontons flingueurs rencontrent les Bronzés. La folle invention de Canal + (Paris, Michel Lafon, 2014, 254 pages). Chantal Delsol scrute le Populisme. Les demeurés de l’Histoire (Paris, Éditions du Rocher, 2015, 268 pages) tandis que Gérard Dussillol fait mine de se réjouir : La crise, enfin ! Pour solder des décennies d’échecs collectifs (Vevey, Xenia, 2012, 192 pages) et que Jean-Philippe Delsol explique : Pourquoi je vais quitter la France (Blois, Tatamis, 2013, 204 pages). Luc Ferry décortique L’innovation destructrice (Paris, Plon, 2014, 140 pages) en même temps que Nassim Nicholas Taleb se veut provocateur avec Antifragile. Les bienfaits du désordre (Paris, Les Belles-Lettres, 2013 [édition originale en anglais : 2012], 660 pages). Du coup, Oskar Freysinger s’attaque à un mythe, De la frontière (Sion, Xenia, 2014, 80 pages) et Michaël Guet s’écrie : Dosta ! (Ça suffit !) Décryptage d’idées reçues : et si on voyait les Roms autrement ? (Paris, Éditions de l’Aube, 2014, 192 pages).
Dans le domaine culturel et plus particulièrement littéraire, Vincent Chabault interroge : Vers la fin des librairies ? (Paris, La Documentation française, 2014, 144 pages). La problématique est reprise par François Rouet dans Le livre. Une filière en danger ? (Paris, La Documentation française, 2013 [4e édition], 240 pages). Daniel Mandon aborde avec humour un sujet parallèle avec C’est la faute à Voltaire ! Du bon usage des citations (Paris, L’Harmattan, 2013, 230 pages).
Si François-Xavier Bellamy aborde Les déshérités ou l’urgence de transmettre (Paris, Plon, 2014, 216 pages), Pierre Benoit s’efforce d’aller au cœur d’un problème contemporain avec Le père en personne. Une ontologie de la paternité (Paris, Les Presses universitaires de l’IPC, 2014, 624 pages). À partir de là sont examinées plusieurs questions éthiques. Avec le professeur Henri Joyeux et Dominique Vialard, c’est La pilule contraceptive (Paris, Le Rocher, 2013, 344 pages) ; avec Karine Degunst, voici des Félicitations c’est une fiv ! (Paris / Bruxelles, La Boîte à Pandore, 2014, 144 pages) ; avec Aude Mirkovic, éclate PMA, GPA. La controverse juridique. Après le mariage pour tous, l’enfant pour tous ? (Paris, Pierre Téqui éditeur, 2014, 90 pages) ; avec Denis Moreau, court l’interrogation : Pour la vie ? Court traité du mariage et des séparations (Paris, Seuil, 2014, 256 pages) ; avec Chantal Bauwens, apparaît un cas non conforme : Divorcée malgré moi ! (Paris, La Boîte à Pandore, 2014, 216 pages). Dans le même ordre d’idées, trois ouvrages aident à aller au-delà de l’émotion immédiate : René Pasquale, avec Éliane Fraysse, relate : Comme toi, j’ai demandé à mourir… Correspondance inachevée avec Vincent Humbert (Paris, Quasar, 2013, 112 pages), tandis qu’Olivier Bonnewijn tente une approche :“S’il te plaît, abrège mes souffrances“. Que répondre ? Que faire ? (Paris, Quasar, 2013, 64 pages), complétée par une Enquête au cœur de l’eugénisme (hors-série n° 13 de L’Homme nouveau, 2013, 64 pages).
Les réactions face aux problèmes et aux malheurs apparaissent multiples. Paul Amar dévoile ses Blessures (Paris, Tallandier, 2014, 288 pages). Jean-Claude Guillebaud affirme : Je n’ai plus peur (Paris, L’Iconoclaste, 2013, 252 pages). Louisette Mantillèri propose La pédagogie du bonheur (Saint-Maurice, Éditions Saint-Augustin, 2013, 160 pages). Marc Halévy prononce l’Éloge des esprits libres. De Lao-Tseu à Nietzsche (Paris, Éditions Saint-Simon, 2014, 232 pages). Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois proposent un Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2014, 320 pages) et Serge Larivée met en garde Quand le paranormal manipule la science. Comment retrouver l’esprit critique (Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2014, 246 pages). Tout cela n’empêche pas Guy Consolmagno de reprendre une vieille controverse : Les extra-terrestres existent-ils ? Un astronome du Vatican répond (Paris, Quasar, 2013, 80 pages). À suivre…
J.É.

Coup de spleen avec Baronne Blixen

 La tombe de Karen Blixen dans sa propriété de Rungstedlund.

Le nom de Karen Blixen, baronne danoise (1885-1962), femme de lettres et flamboyante aventurière en Afrique (1914-1931) — « l’honorable lionne » pour certains —, exerce une incontestable fascination pour les lecteurs de La Ferme africaine ou ses récits tels que Contes gothiques, Contes d’hiver ou Derniers contes. Deux adaptations cinématographiques magistrales ont renforcé le mythe littéraire qui s’est créé autour de cette auteur atypique, Out of Africa par Sydney Pollack en 1985 avec Meryl Streep et Robert Redford époustouflants de fraîcheur et de charme inoubliables puis Le festin de Babette par Gabriel Axel en 1987 avec une Stéphane Audran distante et généreuse, d’une parfaite justesse de ton.
Cette fascination aiguise notre curiosité, nous aimerions nous approcher d’elle afin de démêler le vrai du faux, comprendre mieux, percer le voile de la magie, comme un enfant qui voudrait voir les fils du marionnettiste. Nous savons Karen Blixen audacieuse dans ses safaris, courageuse face à la maladie : la syphilis comme cadeau de mariage avec Bror von Blixen, non conventionnelle dans le milieu de l’aristocratie danoise, passionnément amoureuse de Denys Finch Hatton, possessive et généreuse envers ceux qui l’entourent, mais nous aimerions en savoir toujours davantage, nous approcher au plus près du mythe de la conteuse de Rungstedlund. Comment lui est venu ce goût de la chasse, de la vie aventureuse dans la nature, auprès des animaux sauvages, cette audace ? De son père sans doute. Et ce goût de la littérature et cette indépendance d’esprit de son père également ? Ce père trappeur en Amérique qui s’est suicidé lorsqu’elle avait 10 ans. Denys, son amant de la ferme africaine de Mombasa, érudit, poète, organisateur de safari, était captivé par les contes qu’elle inventait pour lui et lui a conseillé de les faire publier : de Denys aussi on aimerait en apprendre davantage. Pour rêver plus longtemps sans doute… en leur compagnie.
Dominique de Saint-Pern a décidé de tirer parti de ces désirs et a publié un roman intitulé Baronne Blixen. Un roman, pourquoi pas ? Mais…
Le premier problème de ce « roman » est qu’il ne nous apprend rien sur les profondeurs de l’âme de la baronne, aucun fil n’est dénoué. Même si Dominique de Saint-Pern s’est bien gardée de s’atteler à l’ingrate tâche d’une biographie et qu’elle se protège de ces critiques par la nature du texte, la baronne Blixen est tout de même le sujet légitimement attendu… ou alors il fallait intituler autrement ce texte. Or très peu d’informations sont apportées sur l’enfance de Karen, son mariage, ses amants, sa ferme au Kenya, ses revenus, sa maladie, les soins, ses safaris, son amour de la nature, de la vie, des hommes, que l’on ne sache déjà. Rien n’est perceptible de son style si singulier, ses sources d’inspiration, ses rapports avec sa famille, les souvenirs de son père, ses patries… Seuls deux personnages, moins connus, de la fin de sa vie entrent vraiment en scène : Clara Selborn, sa secrétaire sans saveur, et Thorkild Bjornvig, son ami poète sans consistance. Là encore rien de profond, de troublant ou de capable de mettre vraiment mal à l’aise le lecteur ne transparaît dans cet exposé factuel, insipide, aux phrases trop courtes, sans méandres, sans place au doute, au silence, à la méditation, à la réminiscence, aux rêves — ni à la peur, peur de perdre.
Le second problème, lié au précédent, c’est le style d’une platitude accablante. Comment parler d’un écrivain si subtil, où le rythme de la phrase accompagne si élégamment l’imaginaire du lecteur, avec un vocabulaire de midinette et un style de roman de gare (p. 141 : «  L’Afrique sens dessus dessous. Où était le haut, où était le bas ? Peu importait. Cette fois encore elle rit… » ou p. 144 : « Elle resta bouche entrouverte, oublieuse des miettes de pain accrochées à sa lèvre »).
La nature psychologique particulière de la baronne hautement narcissique, manipulatrice, obsédée par la toute-puissance, la grandeur et la gloire n’est pas palpable, car les phrases tombent à plat, pas plus que le personnage de Karen, pourtant méticuleusement composé par elle-même.
Le comble de la mystification est atteint dans la première partie du texte Un tournage en Afrique, où le soi-disant « roman » reprend image par image le film tiré du récit : une sorte de double mise en abîme, qui nous plonge dans les abysses du plagiat et de l’imposture. Tel un charognard, Madame de Saint-Pern va même jusqu’à oser convoquer Meryl Streep. Cette actrice d’un talent exceptionnel viendrait quémander les conseils de la narratrice Clara Selborn, la secrétaire. Ainsi Meryl Streep devient un personnage accessoire et stéréotypé, dont le seul moment de lucidité semble être contenu page 98 : « Lui aurait-t-on laissé le choix d’un confesseur, elle [Beryl Markham] n’aurait pas désigné quelqu’un dans mon genre [Clara Selborn], quelqu’un qui a vécu sa vie par procuration, parmi des souvenirs qui ne lui appartiennent pas, des acteurs qu’il n’a jamais rencontrés ». Cette phrase s’applique tellement bien par-dessus l’épaule de la narratrice à l’auteur que c’en est touchant : pour une unique fois, nous avons droit à un affleurement d’honnêteté intellectuelle, mais apparemment inconscient.
Odile Gasquet
Dominique de Saint-Pern, Baronne Blixen, Paris, Stock, 2015, 432 pages

Paris : un salon du Livre en demi-teinte

François Hollande est venu au salon du Livre de Paris rappeler son attachement à « la liberté d’expression » — bien qu’il ait affirmé que « les auteurs […] ne doivent pas être poursuivis pour leurs textes », on aimerait une approche un peu plus fine de l’articulation avec le respect dû aux personnes et aux croyances par rapport à la nécessité de lutter contre le terrorisme. En tout cas, malgré la visite présidentielle, ce salon ne laissera pas beaucoup de traces. Les lecteurs ne se sont pressés qu’auprès des célébrités et bien des écrivains attendaient leurs lecteurs ; mais ces derniers sont d’abord des clients et, en ces temps de vaches maigres, le livre ne se vend pas très bien.
Comme d’habitude, il y avait un invité d’honneur, le Brésil, qui avait dépêché pas moins de 48 auteurs. Cette présence aurait pu être épaulée par les nombreux autres pays présents, parfois de façon luxueuse, mais souvent inabordable puisque ou bien présentant très peu d’ouvrages ou bien se contentant de textes non écrits en français. Du coup, le visiteur n’aura pas vraiment eu l’impression d’une planète des livres ou d’un univers littéraire international.
Peut-être ne parle-t-on pas suffisamment des livres concrets. Ceux-ci pâtissent du repli de la lecture, lié à la faillite d’un enseignement devenu incapable d’apprendre à lire et à une société de l’image fondée sur ce qui retient le regard et non sur ce qui amène la réflexion : le monde du zapping dans lequel évoluent toutes les générations s’oppose à ce minimum de fixation et d’arrêt qui seul permet la lecture. On sait également que la presse écrite, parlée et télévisée consacre moins de place à l’information sur le livre. Même les organisateurs du salon n’ont trouvé rien de mieux que limiter les entrées des journalistes en réservant l’accès gratuit aux gros médias et à leurs partenaires ! pourtant, le professionnel qui se rend Porte de Versailles ne cherche pas un avantage mais à faire connaître la richesse et l’originalité de la production littéraire… À quoi sert d’afficher 180 000 visiteurs, soit - 10 %, 1 200 éditeurs et 3 500 auteurs si on ne favorise pas la rédaction d’articles et la réalisation de reportages, y compris par de petits médias proches de leur public ?
Saluons l’organisation de conférences et de débats qui ont permis, par exemple à partir du droit d’auteur, des prix littéraires ou de l’attrait pour les héros, de s’interroger sur le partage du savoir, la culture européenne, le rôle des religions ou la manière d’enseigner. Là ont été abordées les véritables problématiques du livre. Cela n’a pas privé le dossier de presse d’incongruités tel le classement d’Haïti parmi les « territoires français de l’hémisphère sud », généreusement dotés, par ailleurs, d’une Martinique qu’on croyait jusque-là au nord de l’Équateur…
Il faudrait sans doute remettre un peu plus le livre au centre de ce salon. On comprend très bien l’utilité de donner une place aux divers professionnels liés à l’édition ou à de grandes institutions assez généreuses. Mais l’essentiel ne devrait pas perdre sa visibilité.
Jean Étèvenaux

Quand les bd déroulent l’Histoire

Toute bonne bande dessinée repose sur une histoire. Lorsqu’elle s’appuie sur l’Histoire, elle se donne un atout supplémentaire, à condition que le scénariste et le dessinateur manient aussi bien la sage érudition qui éloigne des incompréhensions que l’habile intrigue qui retient l’attention. En voici quelques heureux exemples.
Pour le deuxième tome de Médée (Casterman), Nancy Peña et Blandine Le Callet tournent avec une rare dextérité Le couteau dans la plaie : ce récit mythologique verse dans une sombre cruauté alors que les principaux protagonistes quittent les sortilèges de la terre pour les dangers de la mer. Swolfs, égal à lui-même dans la précision noueuse de son trait, dirige Le prince de la mort (Glénat) vers La première mort dans une œuvre pas très réaliste oscillant entre le Moyen Âge chrétien et l’heroic fantasy mais toujours aussi envoûtante. L’époque médiévale apparaît plus crédible dans le 26e tome des Aigles décapitées (Glénat), Mon frère, ce bâtard, la série étant aujourd’hui entièrement réalisée par Michel Pierret.
Au début du XVIe siècle, de l’autre côté de l’Atlantique, voici le Conquistador (Glénat) de Dufaux et Xavier ; pour sa quatrième aventure, le choc entre le monde espagnol et l’empire aztèque devient de plus en plus violent mais aussi, par certains côtés, plus fusionnel. En revanche, c’est un univers plus feutré, celui d’avant la Révolution, qui est mis en scène dans Les maîtres saintiers (Glénat) : ces faiseurs de cloches, pour leur première apparition, se retrouvent À l’accord parfait, 1788, grâce à la collaboration de Le Bollée et Serge Fino, qui ont mijoté un habile scénario. Peu après, très précisément au moment où Napoléon se morfond à l’île d’Elbe, Les pirates de Barataria (Glénat) profitent d’une opportunité pour se rendre en Gaspésie ; Marc Bourgne et Franck Bonnet font ainsi connaître le monde interlope de la Louisiane.
L’association entre Bonifay, Meddour et Paitreau, eux, ramène John Arthur Livingstone le roi des singes (Vents d’Ouest) depuis l’Afrique jusqu’à l’Angleterre victorienne ; ce deuxième tome provoque nombre de scènes incongrues en même temps que des situations et des rencontres surprenantes et parfois émouvantes. Du côté de la France, Boisserie, Guillaume et Kerfriden poursuivent leur exploration de La banque (Dargaud) avec la deuxième génération, celle de 1857-1871, plus exactement le tome 3 : derrière le Paris haussmannien en pleine construction, que de drames personnels et sociaux ! François Dermaut, lui, se lance dans la mise en scène de Rosa (Glénat) avec un premier tome, Le pari, qui présente cette singulière épouse d’un tenancier de ferme-bistrot dans la Normandie du début du XXe siècle ; le dessin, qui rappelle immanquablement certaines trognes de sa série des Chemins de Malefosse, ne manque pas d’attrait. Plus grave est celui de Fino qui, en compagnie de Debois, signe le quatrième tome des Chasseurs d’écume (Glénat), lequel détaille 1920, la révolte des chevaliers de fer blanc, autrement dit ceux qui mettent en boîte, à Douarnenez, le poisson ramené de la pêche.                                Gihé

ETAT D’AME D’UN JEUNE MAROCAIN D’AUJOURD’HUI

C’est un jeune Marocain qui s’appelle Lakhdar, un musulman plus que passable. Au lycée, il a appris quelques bribes d’espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l’âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C’est avec elle qu’il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend, la honte de la famille : Instinctivement les coups pleuvent, on le jette à la rue.
Tanger, où il va grandir, est un port et une marge de l’Europe, une ville peu représentative du Maroc. On y trafique, on fréquente des islamistes en buvant du coca-cola et l’on mate les jambes des Européennes. Par hasard il tombe sur Judit la Catalane. Lakhdar sera balloté de petits boulots en petits boulots, employé par un Cheikh dans une librairie musulmane, transcripteur de documents européens numérisés à moindre coût, puis homme à tout faire sur un ferry du détroit, croque-morts des Arabes clandestins noyés dans la Méditerranée. Il arrive enfin à Barcelone, par amour pour Judit et s’installe rue des voleurs. Rêveur et lecteur autodidacte, il reste ainsi en marge des printemps arabes, des attentats islamistes et du mouvement des Indignés.
Mathias Énard auteur français connaît manifestement bien les villes concernées. Son héros est avant tout un jeune homme qui ne peut absolument pas adhérer à un dogme politique ou religieux, finalement assez représentatif de la jeunesse marocaine d'aujourd'hui. Il est libre mais fidèle à ses amis, traumatisé par la rupture avec ses parents et curieux du monde.
D’une grande sensibilité, ce romain sorti en 2012, est palpitant !
"Rue des voleurs" – Mathias Enard – Actes Sud – 258 pages - Août 2012.

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