Editorial de : Jean Etèvenaux
Stan Lee édité à Lyon
Stan Lee, le scénariste de comics américain qui vient de mourir à Los Angeles à l’âge de 95 ans, demeurera un grand nom de la bande dessinée, même si ses super-héros, tels Spider-Man, Thor, Hulk, Captain America, Nick Fury, Docteur Fatalis, le Surfer d’argent, Daredevil, les Quatre Fantastiques, les X-Men ou les Avengers, sont longtemps restés considérés comme un genre mineur de la bande dessinée. Ce fils d'immigrants roumains juifs incarnait toute une facette non seulement du rêve américain, mais aussi de la réalité d’un pays qui a su attirer et fondre en lui des hommes et des femmes de toutes origines — tel aussi Kirk Douglas, né il y a 102 ans de parents juifs biélorusses.
Il a surtout travaillé avec son compère dessinateur Jack Kirby (1917-1994), juif autrichien, lui, et qui savait aussi être son propre scénariste. Les 102 épisodes des diverses séries qu’ils ont produit ensemble demeurent des monuments, qui leur ont permis de faire évoluer leurs héros au-delà des stéréotypes tournant autour du Bien et du Mal. Signalons au passage que, dans le système des studios américains, il n’est pas toujours facile de déterminer qui est le véritable créateur d’un personnage, tant il y a d’intervenants et de changements. Cette situation, ainsi que la variété des contrats, explique aussi les ruptures et procès qui se sont produits avec de grandes maisons comme Marvel, aujourd’hui sous la coupe de Disney.
Les super-héros de Stan Lee ont été publiés à Lyon. Centre important de la bd francophone jusqu’au début des années 80, la capitale des Gaules a abrité des maisons d’édition qui, comme Imperia et Lug, consacraient une partie importante de leur activité à traduire des comics d’outre-Atlantique. Malheureusement, la censure, sous la forme de la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence, intervint à de nombreuses reprises pour diminuer la charge angoissante et sexuelle de plusieurs séries. De grands dessinateurs qui ont commencé leur carrière à Lyon se souviennent du temps où ils devaient retoucher les cases d’origine, supprimant ici une arme ou rhabillant là une demoiselle. Le rachat de ces maisons par des éditeurs étrangers porta enfin le coup de grâce aux super-héros de Stan Lee publiés à Lyon.
Gaby, la fatiguée, d’origine colombienne est l’employée de maison de Monsieur Irving depuis plus d’une dizaine d’années. Irving Zuckerman, célibataire, esthète et fantasque, richissime marchand d’art, habite à proximité du Metropolitan Museum, un des quartiers les plus côtés de Manhattan. Gaby travaille tous les lundis et, le 1er décembre, à 8 h 11, elle découvre par hasard, dans la corbeille du bureau de son patron, une lettre contenant la nouvelle combinaison du coffre dissimulé derrière les livres de la bibliothèque. Cette lettre contient également la description du contenu du coffre : 164 400 $, six lingots d’or et le fabuleux collier de perles noires de Jackie O.
La tentation est forte. Elle dispose des clefs de l’appartement, connaît toutes les habitudes de son employeur, vivant avec pour seul compagnon régulier sa chienne Carmen, et toutes les issues de l’immeuble sécurisé. Mais comment ne pas être la cible idéale des premiers soupçons ? Cambrioler un des immeubles les mieux gardés de l’Upper East-Side ne s’improvise pas…
Connaissant les penchants de Monsieur Irving, elle élabore un plan, apparemment simple, avec la complicité de son beau et jeune neveu, Franck. Il est taxi à l’aéroport et passionné par les belles voitures, marié à une jeune femme enceinte extrêmement jalouse. L’action s’engage le vendredi 5 décembre, tout semble se dérouler comme prévu jusqu’à la page 99, et là tout se détraque, chaque élément de l’action produit des effets imprévisibles par le lecteur et semble même surprendre l’auteur, comme dans la pièce Les faux British, Molière de la comédie en 2016.
Une série de personnages, plus improbables les uns que les autres, font alors irruption dans le roman pour sauver le plan de Gaby, récupérer le contenu du coffre sans attirer les soupçons, dans une succession invraisemblable de rebondissements. Ces personnages aussi désopilants qu’attachants se débattent dans des situations ubuesques. L’improbable issue se présente enfin lorsque le plus demeuré des protagonistes se révèle d’une incroyable maîtrise de soi.
On ne lâche pas le roman, on le dévore comme une succulente friandise de Noël, on rit de façon tout aussi innocente que l’âme des personnages, la chute inattendue récompense la bienveillance. Un délicieux moment de lecture, sans prétention mais inoubliable, à savourer et à faire découvrir.
Odile Gasquet
Stéphane Carlier, Les perles noires de Jackie O. Paris, Le Cherche Midi, 2016 [édition originale : 2011], 446 pages
Quatre ans de Grande Guerre par les livres
On peut, bien sûr, commencer par se poser des questions, comme Jean-Michel Cosson dans La Première Guerre mondiale. Mystères et histoires insolites (Clermont-Ferrand, De Borée, 2018, 216 pages) et Gian Laurens dans 14-18. La réalité cachée (Bruxelles / Paris, Jourdan, 2017, 288 pages). Les militaires ont également beaucoup à dire, à divers niveaux. Ainsi, du général Edmond Buat, major général au grand quartier général, nous profitons du Journal 1914-1923 (présenté et annoté par Frédéric Guelton, préface de Georges-Henri Soutou, Paris, Ministère de la Défense / Perrin, 2015, 1 488 pages). On découvre, grâce à Didier Bazy, Antoine Laplasse. Enfant du Beaujolais. As de la Première Guerre mondiale (Gleizé, Le Poutan, 2018, 108 pages). De même, nous nous déplaçons sur 765 km de front. Souvenirs et actes de guerre du capitaine Mailler 1914-1918 (texte établi, préfacé, annoté et illustré par Denis Deligant et Pierre Martel, Gleizé, Le Poutan, 2018, 228 pages). Les conditions de vie s’avèrent bien différentes : Marie-Noëlle Gougeon raconte Et nous, nous ne l’embrasserons plus. Trois jeunes Lyonnais dans la tourmente de la Grande Guerre, (Chaponost, chez l’auteur, 2014, 196 pages), tandis qu’Olivier Charrin retrace Une guerre de pépère d’après le carnet de guerre de Pierre Cottinet (Gleizé, Le Poutan, 2018, 168 pages).
Une identité très forte et des assertions tenaces ont fourni à Guy Malbosc la volonté d’une description précise de La Bretagne dans la Grande Guerre. Carhaix et ses poilus (Rennes, Ouest-France, 2018, 256 pages). Jean Étèvenaux dépeint Les femmes dans la Grande Guerre (Gleizé, Le Poutan, 2018, 84 pages). On voit aussi 1916. Des catholiques pendant la Grande Guerre (hors-série n° 22, février 2016, de L’Homme nouveau). Cécile Coutin met en avant un art nouveau : Tromper l’ennemi : l’invention du camouflage moderne en 1914-1918, Paris (Éditions Pierre de Taillac, 2015, 242 pages). Enfin, l’extraordinaire évolution que le siècle a ensuite connue revit grâce à 1914/2014. D’une économie à l’autre dans n° 3094, première quinzaine, septembre 2014, de Problèmes économiques.
Un ouvrage oublié aujourd’hui, celui de Jacques Bainville, permet pourtant de comprendre avec clarté les mentalités d’alors : Histoire de deux peuples (continuée jusqu’à Hitler). La France et l’empire allemand (Saint-Denis, Kontre Kulture, [2018] [1re édition : Fayard, 1933], 180 pages). François-Emmanuel Brézet, lui, retrace ce qui fut une grande nouveauté, avec beaucoup de conséquences, à savoir La guerre sous-marine allemande. 1914-1945 (Paris, Perrin, 2017, 416 pages). Il faut aussi saisir les difficultés relatées par Johan Ickx dans La guerre et le Vatican. Les secrets de la diplomatie du Saint-Siège (1914-1915) (Paris, Cerf, 2018, 298 pages).
Le livre d’Antoine Capet, Churchill. Le dictionnaire (Paris, Perrin, 2018, 874 pages) rappelle son rôle dans la Première Guerre mondiale, notamment dans le désastre de l’opération des Dardanelles. On élargira le problème, grâce à Henry Laurens, en se penchant sur Les crises d’Orient. Question d’Orient et Grand Jeu (1768-1914) (Paris, Fayard, 2017, 384 pages). Lina Murr Nehmé n’hésite pas à stigmatiser dans cette période un épisode fondamental de la politique menée Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique (Paris, Salvator, 2016, 256 pages). Tour cela a débouché, entre autres, sur ce que Hamit Bozarslan, Vincent Duclert et Raymond Kévorkian décrivent dans Comprendre le génocide des Arméniens. 1915 à nos jours (Paris, Tallandier, 2015, 494 pages), sujet également traité par Chavarche Missakian dans Face à l’innommable. Avril 1915 (Marseille, Parenthèses, 2015, 144 pages) et repris de manière plus ciblée par Vincent Duclert avec son étude sur La France face au génocide des Arméniens (Paris, Fayard, 2015, 440 pages). Ces massacres de masse ont également frappé, rappellent Joseph et Claire Yacoub, ceux qui ont été Oubliés de tous. Les Assyro-Chaldéens du Caucase (Paris, Cerf, 2015, 320 pages).
Il est difficile de ne pas se focaliser sur un moment particulièrement charnière, débordant, d’ailleurs, du cadre de la guerre. Jean-Christophe Buisson raconte ainsi 1917. L’année qui a changé le monde (Paris, Perrin, 2016, 320 pages). Dominique Lormier en profite pour mettre à bas Le mythe du sauveur américain 1917-1918 (Paris, Éditions Pierre de Taillac, 2017, 120 pages). Sébastien Courtois et les auteurs rassemblés sous sa direction décortiquent 1917. La révolution bolchevique (Paris, Vendémiaire, 2017, 320 pages). Dans le même esprit, on avance, aux côtés de Boris Kritchevski, Vers la catastrophe russe. Lettres de Petrograd au journal “L’Humanité“. Octobre 1917 – février 1918 (Paris, Éditions de Fallois, 2018, 224 pages) qu’on peut rapprocher de deux autres documents : d’abord celui de Nicolas II, le Journal intime. Décembre 1916 – Juillet 1918 (présentation et notes de Jean-Christophe Buisson, Paris, Perrin, 2018, 256 pages), ensuite celui de Louis de Robien, le Journal d’un diplomate en Russie (1917-1918) (Paris, Vuibert, 2017, 368 page. Quant à Nicolas Ross, il relate comment Ils ont tué le tsar. Les bourreaux racontent (Paris, Éditions des Syrtes, 2018, 312 pages). Enfin, sous la plume de Leonid Youzefovitch, revit Le baron Ungern khan des steppes (Genève, Éditions des Syrtes, 2018 [édition originale : 2001], 304 pages).
On peut alors terminer sur 1918 : la victoire, la paix, les illusions, le n° 43, octobre 2018, de Histoire & civilisations. Avec Christophe Soulard, on entrera dans le détail de cet Armistice 1918. Petit dictionnaire historique & insolite du 11 novembre 1918 (Levallois-Perret, Éditions JPO, 2018, 348 pages). Et on n’oubliera pas, avec Freddy Vinet, l’autre catastrophe meurtrière mondiale, La Grande Grippe. 1918, la pire épidémie du siècle. Histoire de la grippe espagnole (Paris, Vendémiaire, 2018, 264 pages).
Jean Étèvenaux
Des bd pour sourire
Comment apprécier la naissance et l’arrivée d’un bébé dans une famille ? Céline Charles, pour le deuxième tome de Que du bonheur ! (ou presque…), établit avec beaucoup de pertinence l’addition : Trois fois plus de bonheur… et de fatigue ! (Bamboo). Cédric Ghorbani développe une vision semblable dès le premier volume d’Enfin parents (Bamboo).
Certains adultes ne semblent pas trop pressés de vieillir. Flora et Minikim mettent aiainsi en scène une jeune femme qui se définit comme 30 ans 2 chats (Bamboo), petit joyau agrémenté des commentaires des deux matous et aussi des autres passants de ce premier tome. Aurélie Herrou et Sagar, eux, font vivre Le syndrome de Stendhal (Glénat) à travers un jeune homme de bonne famille sur le point de se marier et obligé de travailler dans un musée et qui, malgré sa méconnaissance totale de l’art, se retrouve en quelque sorte subjugué par l’accumulation d’œuvres.
Quand la vie avance, les ex-jeunes nouveaux anciens deviennent les Papy Boomers (Bamboo), dont Goulesque et Widenlocher proposent le premier tome. Plus en avant, si on peut dire, voici Les seignors, que Richez, Sti et Juan sont prêts à envoyer Vers l’infini et l’au-delà (Bamboo) au sein de leur maison de retraite participative…
Gihé