Editorial de : Jean Etèvenaux
Ne pas oublier Chateaubriand
Ce n’est pas parce que, cette année, notre déplacement annuel s’est concentré sur Saint-Exupéry que nous pouvons oublier le 250e anniversaire de la naissance de Chateaubriand, à vrai dire peu commémoré le 4 septembre. Voilà pourquoi nous l’avons choisi pour la une de ce numéro.
La gravure retenue est l’une de celles directement inspirées par le tableau d’Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson — le grand Girodet —, exposé au salon de 1810. On sait que l’œuvre avait été placée dans un recoin afin que Napoléon ne la vît point, puisque l’empereur et l’écrivain se trouvaient en froid pour des raisons politiques et familiales. Mais le souverain voulut la voir et se contenta de ce commentaire : « Il a l’air d’un conspirateur qui descend par la cheminée »…
Pourtant, Chateaubriand restera l’un des rares royalistes à porter finalement sur Napoléon un jugement assez équilibré et, surtout, à perspective historique. Celui qui avait accompagné Louis XVIII en exil à Gand et qui avait commis le pamphlet De Buonaparte et des Bourbons au moment des Cent Jours confiera aux Mémoires d’outre-tombe qu’il représentait « le souffle de vie le plus puissant qui jamais anima l’argile humaine » et que, après lui, il n’y avait plus que le « néant ».
Grand écrivain aux multiples facettes, Chateaubriand est évidemment critiquable et son mélange de christianisme, de romantisme et de royalisme — ainsi qu’une bonne dose d’égotisme — peut ne pas plaire. Il n’empêche que, tout en gardant ses fidélités personnelles et dynastiques, il a compris le monde nouveau qui se mettait en place et y a notamment contribué par son attachement à la liberté de la presse, qui « n'est redoutable qu'aux médiocrités et aux mauvaises consciences ».
Enfin, les Lyonnais se souviennent non seulement de son indéfectible amitié pour Juliette Récamier mais aussi pour Pierre-Simon Ballanche : fils d’imprimeur et éditeur lui-même, le philosophe publia dès 1802 son Génie du christianisme, dont il ressortit ensuite une dizaine d’éditions.
Le coup de cœur d’Alain Larchier
Au revoir là-haut
Au revoir là-haut est un livre remarquable qui illustre un aspect méconnu de la guerre de 1914 - 1918. Il y a beaucoup à en dire, et le mieux est de commencer par sa quatrième de couverture.
« Rescapés du premier conflit mondial, détruits par une guerre vaine et barbare, Albert et Édouard comprennent rapidement que le pays ne pourra rien faire pour eux. Car la France, qui glorifie ses morts, est impuissante à aider les survivants. Abandonnés, condamnés à l’exclusion, les deux amis refusent pourtant de céder à l’amertume ou au découragement. Défiant la société, l’État et la morale patriotique, ils imaginent une arnaque d’envergure nationale, d’une audace inouïe et d’un cynisme absolu. »
Le propre d’une quatrième c’est d’être succincte pour ne pas trahir le livre, mais suffisante pour donner envie de le lire. Pour un coup de cœur, on peut se permettre d’aller plus loin, sans pour autant tout raconter.
Cet ouvrage de Pierre Lemaître a eu le prix Goncourt, qui semble largement mérité. Il présente un double intérêt : la valeur d’un roman magistral, mais aussi la révélation historique du sort indigne que le pays à imposé aux survivants.
Cette guerre coûtait à la France, en 1916, d’après le New York Herald, 1 200 millions de francs or par mois, sans tenir compte des pertes causées par les destructions. Soit 64 milliards pour la durée de la guerre. L’Allemagne a été condamnée à payer la dépense, ce qui fait que l’or a commencé à rentrer dans les caisses.
Mais les poilus ont été oubliés et ont dû se résigner à une vie misérable, sans même se voir offrir une tenue civile décente. Les pensions accordées aux veuves ne leur permettaient pas de vivre. C’est cette situation qui va pousser Albert et Édouard, soldats revenus de l’horreur, à mettre au point leur escroquerie.
Il n’y avait pas que des pauvres en 1918. La guerre avait permis de réaliser des profits énormes et d’enrichir les riches. On a dit que les rumeurs de paix faisaient à chaque fois chuter la Bourse, alors qu’elle repartait avec la reprise des affrontements. L’après-guerre a eu aussi ses profiteurs honteux et le personnage du lieutenant Pradelle et le type même de la crapule couverte d’honneurs immérités. Mais tout n’est pas noir dans cette aventure, et le père d’Édouard, riche, puissant et cynique, va finir par s’humaniser en retrouvant le souvenir de son fils.
L’écriture du livre est remarquable par sa qualité et son originalité, mêlant le réalisme cru, l’humour, la dérision, la sensibilité. Un bon film a été tiré du roman, mais un conseil : lisez le livre avant. Vous comprendrez pourquoi en voyant le film.
Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, Paris, Albin Michel, 2013, 576 pages
Bd pour ados
Les bandes dessinées pour adolescents peuvent parfois sembler surprenantes. Elles s’inspirent fréquemment des mangas asiatiques, au moins par le graphisme et une forme d’expressionisme quand ce n’est pas par des références à un univers remplis de triades et de yakuzas. Elles ne présentent en tout cas souvent qu’un lointain rapport avec le monde de l’enfance, tirant celui-ci vers un étrange plus ou moins criminalisé.
Existent des exceptions : dans Au bout des rêves (Vents d’ouest), le tome 3 de Théa cavalière, on retrouve l’univers créé par Judith Peignen, Emma Schulz et Thierry Nouveau avec des adolescentes un peu chipies mais finalement pleines de bonne volonté et attachantes. C’est un peu la même chose dans les romans graphiques inspirés de la série TV Les sisters (Bamboo) — adaptés par François Vodarzac d’après les scénarios de Pascal Mirleau et Tony Scott —, le titre du volume 9 indiquant bien une certaine tendance : Ma sister est un zombie.
Avec Les lumières de l’aérotrain (Grand Angle), Ducoudray et Corgié racontent une histoire de la fin du siècle précédent, mais qui pourrait bien se dérouler maintenant et qui, surtout, montre des jeunes scolaires pris dans un engrenage mortel… Plus optimiste dans une sorte de rêve surréaliste, Le monde selon Zach (Grand Angle) donne à Jean Rousselot, Stéphane Massard et Djet l’opportunité de montrer qu’on peut aller au-delà du mal. Ce pourrait être aussi le cas avec le deuxième tome de Pépin cadavre, Les bacchantes du Rescator (Glénat), car Olivier Milhaud et Cédric Kernel savent montrer leurs héros offensifs.
Le manga n’épargne aucune maison d’édition, devenant même un des piliers de Bamboo sous le nom de Doki-Doki ; c’est ainsi que le troisième et dernier tome de Red Load de Takumaru Sasaki dévide son lot de violences mortelles. Encore plus fantastique, car relevant de l’heroic fantasy, la saison 1 de Night’s dominion (Glénat) permet de découvrir le travail de Ted Naifeh, justement publié dans une collection intitulée Young Adult qui montre bien la cible recherchée.
Dans certains cas, le dépaysement est tout relatif, l’histoire préférant s’appuyer sur un cadre géographique et culturel plus ou moins marqué dans le temps, notamment aux États-Unis. Jack Manini et Olivier Mangin font ainsi revivre les communautés hippies, et au-delà la société américaine, d’il y a une cinquantaine d’années : le deuxième tome de Jack Cool 1967, Acide soit-il (Grand Angle), va au-delà des fêlures individuelles de toute une bande de jeunes. Quant à ce que produit encore l’univers estudiantin de Riverdale — créé, faut-il le rappeler, en 1939 —, on en a deux exemples récents, grâce à un accord avec Glénat, à travers les tomes 1 des Chroniques de Riverdale et d’Archie, l’un et l’autre écrits et dessinés par une multitude d’auteurs, selon le principe cher aux studios d’outre-Atlantique.
Gihé
Flâner grâce aux lectures
Voici un certain nombre de titres qui peuvent aider à mieux connaître divers lieux de France, voire même à susciter plus particulièrement des places d’intérêt.
La vieille et toujours jeune Armorique retient évidemment la première l’attention. Dominique Aymard et Éric Jouan proposent ainsi de Tout savoir sur la Bretagne (Rennes, Ouest-France, 2017, 252 pages), ce que reprennent Hervé Ronné et François de Beaulieu à travers Une année en Bretagne (Rennes, Ouest-France, 2017, sp [en fait 376 pages]). Pour la parcourir, rien de tel que l’Atlas des plus belles voies vertes et véloroutes du Grand Ouest (Rennes, Ouest-France, 2018, sp [en fait, 218 pages]. Avec Christophe Auray, on s’attardera sur les Pierres magiques et guérisseuses de Bretagne (Rennes, Ouest-France, 2018, 128 pages) ou, avec Hélène Leroux-Hugon, sur les Galets animés (Rennes, Ouest-France, 2018, 192 pages) ; on en détaillera aussi les Coquillages et crustacés (Rennes, Ouest-France, 2018, 48 pages). Dans une topographie plus précise, Alain Le Borne présente La côte d’Émeraude et la baie du Mont-Saint-Michel. 24 balades et 1 randonnée en 4 étapes (Rennes, Ouest-France, 2017, 128 pages) et Marie Le Goaziou Découvertes. Îles de Bretagne (Rennes, Ouest-France, 2017, 94 pages) et Découvertes. Le Morbihan (Rennes, Ouest-France, 2018, 120 pages).
Du côté de la Normandie, ce sont des Regards… Lyons-la-Forêt (Paris, Éditions du Patrimoine, 2017, 56 pages). Puis on peut découvrir, en compagnie de David Alliot, Le Paris de Céline (Paris, Éditions alexandrines, 2017, 128 pages). En descendant vers le sud, beaucoup reste à découvrir en Auvergne (Le Petit Futé, Paris, Les Nouvelles Éditions de l’Université, 2018, 528 pages). De l’autre côté de la Saône, une magnifique exposition est complétée par l’ouvrage splendide réalisé sous la direction de Pierre-Gilles Girault et Magali Briat-Philippe, Primitifs flamands. Trésors de Marguerite d’Autriche de Jan van Eyck à Jérôme Bosch (Bourg-en-Bresse / Rennes, Monastère royal de Brou / Presses universitaires de Rennes, 2018, 224 pages) ; c’est l’occasion de rappeler la précédente, dont demeure aussi le catalogue, sous la direction de Magali Briat-Philippe et Ger Luitjen, intitulé Georges Michel 1763-1843. Le paysage sublime (Bourg-en-Bresse / Paris, Monastère royal de Brou / Fondation Custodia, 2017, 208 pages).
On se rapproche de la capitale des Gaules et de ses environs. Bernard Pichon invite ainsi à Une nuit ailleurs. 87 hébergements insolites en Suisse et France voisine. Guide (Lausanne, Favre, 2014 [1re édition : 2012], 320 pages). Claire Angot propose Lyon en quelques jours (Paris, Lonely Planet, 2017 [5e édition], 184 pages + plan détachable), qu’on peut compléter par Lyon. Mon city guide (Le Petit Futé, Paris, Les Nouvelles Éditions de l’Université, 2017, 528 pages). Il y a aussi l’évocation de Christophe Fléchon : Lyon en page, préface de Gérard Collomb (Lyon, Ventotène, 2016, sp [en fait 48 pages]). Avec Nicole et Christian Segaud, on peut se pencher sur Flore et faune du Mont d’Or lyonnais (Gleizé, Le Poutan, 2017, 160 pages). Réservons enfin à Anne-Marie Biston Martin un Côté papilles à 2 convives, 6 ou +. Recettes goûteuses et poétiques, familiales ou amicales (Bourgoin-Jallieu, chez l’auteur, 2013, sp [en fait, 50 pages]).
Du côté des proches montagnes, Joëlle Dartigue-Paccalet montre Chamonix et le Mont-Blanc. En cartes postales colorisées (Rennes, Ouest-France, 2017, 72 pages), Hélène Armand et Christian Pedrotti les Bergères en leurs alpages (Grenoble, Glénat, 2017, 192 pages) et Jocelyn Chavy Les plus belles courses des grands alpinistes (Grenoble, Glénat, 2017, 168 pages).
Plus concrètement, on va entreprendre, avec Catherine et Gilles Lansard, le Massif des Bauges. Les plus belles randonnées (Grenoble, Glénat, 2017, 192 pages), avec Anne et Jérôme Renac, Les plus belles randonnées en Ubaye. Autour de Barcelonnette, cols d’Allos et de la Gayolle, Jausiers, col de la Bonnette-Restefond, Ubayette, col de Larche, Saint-Paul-sur-Ubaye, Maljasset (Grenoble, Glénat, 2017, 96 pages), avec Arielle et Jean-Marc Roux, 99 balades et randonnées Écrins. Au cœur du parc national : Vallouise, Briançonnais, Vénéon, Valbonnais, Valgaudemar, Champsaur, Embrunais (Grenoble, Glénat, 2017, 144 pages) et Le P’tit crapahut dans le Queyras et le Guillestrois. Saint-Véran, Molines, Arvieux, Ceillac, Abriès, Aiguilles, Ville-Vieille, Château-Queyras (Grenoble, Glénat, 2017, 80 pages), avec Jean Gotteland, Le P’tit crapahut en Tarentaise Vanoise. Champagny-en-Vanoise, Pralognan-la-Vanoise, Courchevel, Méribel, Les Menuires, Val Thorens, Saint-Martin-de-Belleville, Celliers, Naves (Grenoble, Glénat, 2017, 80 pages) et, avec Jean-Marie Lamory, Le P’tit crapahut autour de Chamonix. Chamonix, Vallorcine, Argentière, Les Houches, Servoz (Grenoble, Glénat, 2017, 80 pages) et Le P’tit crapahut autour de Morzine Les Gets. Morzine, Les Gets, Montriond, Saint-Jean-d’Aulps, La Côte d’Arbroz, Le Biot (Grenoble, Glénat, 2017, 80 pages).
On poursuivra, grâce à Françoise Batifol et Gérard Brun, avec 62 itinéraires VTT Ardèche (Saint-Julien-Boutières, VTopo, 2018, 176 pages). Jean-Christophe Barla livre son Guide secret de Marseille et de ses environs (Rennes, Ouest-France, 2018 [1re édition : 2013], 144 pages). Et, pour finir, un plongeon dans la Corse (Le Petit Futé, Paris, Les Nouvelles Éditions de l’Université, 2018, 480 pages).
Jean-Gabriel Delacour
Une Miss Marple renouvelée : Agatha Raisin
Bien qu’il faille se méfier des analogies, forcément réductrices et anachroniques lorsqu’on compare deux périodes, on peut dire que, outre-Manche, est apparue une nouvelle Miss Marple en la personne d’Agatha Raisin. Comme l’héroïne d’Agatha Christie — dont les enquêtes furent publiées de 1930 à 1979 —, c’est une célibataire qui agit en amateur, encore qu’elle crée finalement sa propre agence de détective. Par ailleurs, elle a été mariée deux fois et ne répugne pas à des aventures plus ou moins passagères. Elle se révèle en tout cas très ancrée dans la réalité de son temps, perceptible notamment à travers diverses remarques sur la mode, l’informatique ou les modes de déplacement. Elle boit, elle fume et elle n’hésite pas à mentir ou à se livrer à des supercheries, y compris pour sa gloriole personnelle.
Âgée d’une cinquantaine d’années mais bien conservée malgré quelques rides auxquelles elle fait la chasse, elle prend trop facilement quelques kilos, mais sait fort bien s’habiller et dispose de jolies jambes. Ancienne responsable d’une agence de relations publiques, elle fait de temps à autre appel à son ancien adjoint Roy Silver. Une galerie d’autres personnages l’entoure, en particulier ses deux amis/amants, son voisin James Lacey et le baronnet sir Charles Fraith, le policier sino-britannique Bill Wong et l’épouse du pasteur, Mrs Bloxby — celle qui arrive toujours à trouver le bon côté des gens.
Délaissant Londres, Agatha Raisin s’est établie à Carsely, dans un petit village fictif des Cotswolds, une très belle région, bien réelle, située entre Oxford et le Pays de Galles ; plusieurs villages existants sont cités dans ses enquêtes, tels Evesham, Moreton-in-Marsh, Stow-on-the-Wold ou Chipping Campden. C’est donc une Angleterre rurale qui est décrite, assez semblable à celle des enquêtes des deux inspecteurs Barnaby, elles aussi inspirées de l’œuvre d’une romancière ; d’ailleurs, Agatha Raisin a été transposée sur le petit écran et la première saison diffusée en France en 2017, la seconde se trouvant en cours de tournage.
Son auteur, née en 1936 à Glasgow, s’appelle Marion Chesney, mais elle est connue comme M.C. Beaton. Elle a été libraire et journaliste avant de devenir auteur des deux séries de best-sellers, Hamish MacBeth — 35 titres sortis, avec des adaptations télévisées — et Agatha Raisin — plus de 15 millions d'exemplaires vendus dans le monde. La première publication, La quiche fatale, date de 1992, mais les traductions en français, chez Albin Miche, n’ont commencé qu’en 2016. Douze sont parues, deux vont s’ajouter en novembre et il en restera encore quatorze à traduire. Quelques titres, fidèles à l’original en anglais, donnent une idée des sujets des enquêtes, qui démarrent après des descriptions plus ou moins longues des situations et des sentiments : La quiche fatale, Pas de pot pour la jardinière, Coiffeur pour dames ou Sale temps pour les sorcières.
Jean Étèvenaux