Editorial de : Jean Etèvenaux
Lire au coin du feu, c’est recevoir la lumière de deux manières
LA RELEVE
Il s’est passé quelque chose de très réconfortant au Salon du Livre de Chevi-nay. Pas tellement parce que la Sélyre, partenaire depuis des années de cette sym-pathique rencontre, était présente. Mais à cause de ce qu’ont réalisé un certain nombre de jeunes scolaires, lesquels en ont d’ailleurs été récompensés.
En effet, en amont de la rencontre du dimanche 2 octobre — et cela avait commencé au mois de mai du côté des enseignants —, ils avaient été invités à tra-vailler sur le thème de l’écologie fantastique. Plus concrètement, il était proposé :
- aux enfants de 5 à 7 ans de traiter le sujet : la planète est en danger, c’est dé-cidé : il faut agir ;
- à ceux de 8 à 11 ans d'écrire sur le thème : pour sauver la planète, les ani-maux prennent le pouvoir ;
- aux adolescents de 12 ans et plus de s’interroger : 2022-2032, qu’est devenue notre terre ?
Bien entendu, ils étaient conduits sur une voie qui, depuis plusieurs années, domine l’actualité, avec une mode médiatico-politique poussant souvent à rester dans des chemins bien balisés ; du coup, certains ont condamné ce qui a été fait par les générations précédentes et survalorisé le monde animal. Certes, aussi, il avait été décidé de ne pas trop tenir compte de l’orthographe et, plus généralement, du français dans les notations. Mais finalement l’essentiel aura été ailleurs.
En effet, ces jeunes du monde rural ont d’abord exalté le milieu dans lequel ils vivent, l’opposant à la ville, qui leur apparaît peu enviable et qui les enserrerait dans un univers de béton. Ensuite, ils ont fait preuve d’une capacité d’imagination et d’inventivité témoignant d’esprits ouverts, capables d’aller au-delà des réalités et de se projeter dans un futur, réaliste ou pas. Pas du tout blasés, ils se sont ainsi affirmés prêts à agir et à ne pas rester les bras croisés. Il faut d’ailleurs rendre hommage à ceux qui les ont guidés, en bibliothèque et à l’école, pour qu’ils arri-vent à s’exprimer. Viendra peut-être plus tard le temps de la réflexion approfondie. Mais, pour le moment, ils ont donné de beaux exemples de création et d’épanouissement.
La relève est vraiment là.
La Sélyre à Lucinges et à Entremont
Les treize participants à la sortie se sont retrouvés sans difficulté sur la place de Lucinges à l'heure convenue. Merci au GPS .
L’archipel Butor est constitué de trois îlots situés dans la ville : la bi-bliothèque patrimoniale, le Manoir des livres, bibliothèque de lecture pu-blique, et la maison de Michel Butor.
Le Manoir des livres est dédié à la valorisation et à la conservation des livres d'artiste. La maison de Michel Butor se situe à quelques pas. Elle est accessible au public qui peut découvrir le bureau de l'écrivain laissé en l’état. La bibliothèque Michel Butor est une bibliothèque de lecture publique membre du réseau annemassien de médiathèques Intermède. Outre ses acti-vités de prêt et d'animations, elle met à disposition du public un fonds spé-cialisé autour des livres d’artiste et de l’écrivain, poète et artiste Michel Butor.
Celui-ci est célèbre pour ses romans, en particulier La Modification, prix Renaudot 1957. Il fut classé dans la catégorie du Nouveau Roman, pour ses explorations formelles et ses recherches stylistiques, son souci de réin-venter le genre en sortant le lecteur de sa position passive.
La plus grande partie de son œuvre est dédiée à la création, entre 1962 et 2016, date de son décès, de milliers de livres d'artiste présents dans de nombreuses collections publiques, en France et à l’étranger. Pour la plupart des visiteurs, le livre d’artiste a été une découverte. Il s’agit d’une composi-tion réalisée par l’auteur en quelques exemplaires, associant un fonds pic-tural au texte d’un auteur, poète ou écrivain. Le format est très variable, y compris sous la forme d’un accordéon dépliable. Mais il peut se présenter sous d’autres aspects plus insolites. Diverses techniques peuvent être em-ployées : gravure, collage, peinture ou encre. Une galerie expose également quelques toiles de l’auteur, qui a utilisé des moyens très variés pour leur réalisation.
Après un repas de qualité et éminemment original à l’Auberge de Lu-cinges, offert en partie par la Sélyre, la sortie s’est poursuivie à l’abbaye d’Entremont, à proximité du plateau des Glières. Liée étroitement à cette région du Faucigny à proximité immédiate du Genevois, fondée au XIIe siècle sous la forme d’un simple prieuré dépendant de l’abbaye d’Abondance, elle a pris un importance grandissante. Il en reste en particu-lier un remarquable trésor conservé dans l’église aujourd’hui paroissiale.
Alain Larchier
Les marches d’une vie
À force de silences, de saisons qui s’abîment, de déposer sa chance sur les marches d’une vie
À contempler le monde, les larmes d’une nuit, les sourires d’une ronde, pour en apprendre l’oubli
La tête trop petite pour tous ses souvenirs
Alors je marche et je cours, au périple d’un amour, à essayer de comprendre, tous ces maux qui m’entourent
Tous ces maux dont je me fous, ces syllabes à mon cou
Mais, à force de croire, de parfaire et de croire en ces illusions nocturnes, les désillusions d’un soir
Je m’assois sur ce banc, cette halte en avant, pour ne pas tomber à terre, tou-cher le trottoir, et du reste qu’en faire, pour qui je ne sais pas, je m’enfonce un peu plus dans les abîmes d’un temps
Je monte et je marche, je gravis les marches d’une vie, pour ranger dans un placard les maudits souvenirs, trop vaste et trop grand d’un périple assagi
Et puis voilà qu’une larme me parle, me raconte des histoires, moi qui n’ai dans le regard que la pluie et le retard
Des feuilles fades, sous des papiers buvards, pour effacer les fautes d’une ar-doise de trop
Et les larmes d’un souvenir, d’une empreinte qui saigne, une toile inachevée, d’un artiste apeuré, qui somnole de ses nuits de silences de tortures, de phrases d’injures, comme si demain n’avait plus d’aventures
Le pas trop lourd à porter, d’une trace qui s’efface, d’avoir peur de cette véri-té, d’un miroir qui me fait face
Comme une injure, une malle qui se referme d’empiéter sur mes rêves, mes démons, mes colères
Dominique Villard
La BnF Richelieu revit pour le public
Tandis que les Britanniques vivaient dans leur affectivité profonde l’évolution patrimoniale d’une monarchie passant d’Elizabeth II à Charles III, les Français se sont une fois de plus engoués pour les monuments attestant la longévi-té et la richesse de leur passé. Parmi les quelque 15 000 bâtiments et lieux qui les ont accueillis le week-end des 17 et 18 septembre, ils en ont retrouvé un qu’ils pourront à nouveau visiter et utiliser en permanence : le vieux site de la Biblio-thèque nationale de la rue de Richelieu à Paris, qui voisine maintenant avec les bibliothèques de l’Institut national d’histoire de l’art et de l’École nationale des Chartes.
En 1996, en effet, fut ouverte sur le site de Tolbiac, dans le XIIIe arrondisse-ment, la nouvelle Bibliothèque nationale de France, destinée à faciliter l’accès du public aux très riches collections d’imprimés — actuellement quelque 15 millions de livres et presque 400 000 périodiques —, l’ensemble étant souvent désigné sous le sigle Bibliothèque François Mitterrand. Tout cela constitue le patrimoine docu-mentaire national accessible au plus grand nombre ; le temps des bibliothécaires jaloux de leur petit périmètre et réticents à communiquer leurs documents est en effet bien révolu et on peut maintenant réserver des documents le matin pour l’après-midi.
Dans le deuxième arrondissement, à quelques encablures du Palais Royal et de la Bourse, entre la rue de Richelieu et la rue Vivienne, où est sise maintenant l’entrée principale afin de garantir une circulation plus fluide, le site originel a été entièrement remanié. Au terme de douze années de travaux et en respectant les engagements budgétaires (261 millions d’euros), l’ensemble a été refait d’une ma-nière qui intègre l’architecture contemporaine dans celle des siècles passés.
Surtout, la mythique salle Ovale se trouve ouverte à tous en libre accès avec ses 20 000 volumes, tandis que cinq salles de lecture sont réservées aux chercheurs. C’est en effet à Richelieu que sont conservés les six départements spécialisés de la BnF : arts du spectacle, cartes et plans, estampes et photographies, manuscrits, monnaies, médailles et antiques et, enfin, musique.
Outre un jardin public et la galerie Mansart-Pigott, le vieux musée a été re-pensé pour mieux mettre en valeur tout ce qui provient des collections des rois de France et des dons de divers mécènes comme le duc de Luynes au XIXe siècle. D’une tablette sumérienne en écriture cunéiforme au Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire illustré par Daniel Buren, défilent 4 500 ans d’objets aussi divers que le trône de Dagobert, l’échiquier de Charlemagne, le Grand Camée de France, le trésor de Berthouville, le psautier de saint Louis ou le Globe vert. La galerie Mazarin offre enfin le magnifique plafond peint de Romanelli.
Jean Étèvenaux
BnF - 5, rue Vivienne - 75002 Paris - www.bnf.fr - visites guidées et circuit libre application web gratuite pour smartphone - 29 bornes de médiation numérique
Un texte de Marc Lambron
Elizabeth II, la reine de marbre
Extraits d’un écrit de Marc Lambron dans Le Figaro du 16 septembre.
Elle a régné plus longtemps que la reine Victoria, qui a laissé son nom à une ère, mais était moins riche que J. K. Rowling, qui a imaginé une sorte d’Oxford avec dragons volants. Quand elle naquit, le cinéma était muet, mais quand elle partit, on faisait des séries sur sa vie. Elle aura su confronter une monarchie immémoriale au pouvoir calomniateur des caméras.
[…] La défunte reine ne cessa de se conformer à une discipline : expo-sition publique mondiale en tant qu’icône, mais élision constante d’elle-même en tant que personne. […].
Lisait-elle ? On ne sache pas que son secrétariat ait jamais rendu pu-blique la liste de ses préférences littéraires. Aucun écrivain ne s’est jamais risqué à se mettre dans la tête de la reine, ainsi que d’éminents auteurs sud-américains, Gabriel Garcia Marquez ou Mario Vargas Llosa, le firent avec des dictateurs latins, un type humain dont elle représentait le contraire abso-lu. Tel un parapluie de Jermyn Street, sa psyché était tenue par de fortes ba-leines.
[…] Être de verticalité monogame dans une famille d’horizontalités dispersées, la reine dut endurer une sœur s’alcoolisant sur l’île Moustique avec des play-boys peroxydés, trois enfants divorcés, une belle-fille mortel-lement compromise avec un bellâtre levantin, un fils préférant aux fauteuils de British Airways les avions privés d’un milliardaire libidineux. Et pour couronner le tout, si l’on ose dire, un petit-fils s’unissant à une capricieuse starlette de sitcoms, bien dans la note d’une époque qui prise la geignardise et les crop tops. […]
Archaïsmes ou mutations ? Guère rockeuse, la reine était-elle LGBT ? On nota la présence dans sa proximité d’éminents gays cravatés, son photo-graphe officiel Cecil Beaton, son couturier Norman Hartnell, son archiviste-espion Anthony Blunt, sans oublier son Premier ministre Edward Heath. Mais, là encore, c’était plutôt tradition d’indifférence et de libéral respect : Albion discrimine moins sur les préférences sexuelles que sur les accents.
[…] Une ère s’achève. Rule, Britannia ! Il faut imaginer Elizabeth II heureuse : on peut trouver un bénéfice narcissique et une satisfaction de coussin brodé dans une vie entièrement vouée au devoir.