Editorial de : Jean Etevenaux
Le phénix des Lumières
RENAISSANCES
Comme on le voit sur la page de couverture, la place Louis Pradel — pour-tant pas l’espace le plus attirant de Lyon —, voit se poser un phénix grâce à la Fête des Lumières. Certains avaient craint pour l’avenir de cette grande mani-festation, sans doute trop populaire pour ceux qui débinsnobent le Tour de France et surtout sujette à des critiques de la part des Khmers verts peu sen-sibles au rayonnement intérieur et extérieur de la capitale des Gaules. Mais tout cela semble avoir été balayé et le mythique volatile vient apporter un bienvenu message d’espoir et de renouveau, préfigurant, en quelque sorte, celui de Noël.
L’oiseau de néons s’anime de multiples couleurs vives et changeantes. On peut y discerner les plumages d’oiseaux tropicaux tels l’ara à gorge bleue ou le perroquet à face jaune. À travers une multiplicité d’oiseaux dont les chants ont été enregistrés en Guyane, les passants se retrouvent au cœur d’une forêt tropicale. Il s’agit évidemment d’une ode à la renaissance, puisque le phénix est censé revivre de ses propres cendres. Dans une cité tant marquée par la Renais-sance, nous ne pouvons que nous y montrer sensibles, dans le souvenir des imprimeurs, des correcteurs, des graveurs, des éditeurs, des compositeurs, des auteurs et de tous ceux dont nous restons les héritiers à travers notre goût du livre et de tous ceux qui le font.
Même si la vie ne s’avère guère un long fleuve tranquille, savourons ces instants propices à la réflexion comme à l’instruction, au partage comme à l’héritage. Écrivains et amoureux des lettres, nous voulons toujours aller au-delà, vers une indispensable et constante renaissance. Alors, une fois n’est pas coutume : laissons-nous guider par la créature du lac qui rampe dans le parc de la Tête-d’Or (photo ci-dessus).
En raison de la profusion éditoriale, la partie bibliographique qui suit se li-mite aux publications concernant la proche région lyonnaise, livres et pério-diques, ainsi qu’aux bandes dessinées sorties à proximité. Trois rubriques s’y ajoutent, les habituelles de Michel Loude et d'Odile Gasquet — où l’on retrou-vera la Renaissance — ainsi que, bicentenaire oblige, une chronique napoléo-nienne fournie.
LA CHRONIQUE DE MICHEL LOUDE
J’ai toujours comparé la lecture d’un ouvrage à une ascension, une con-quête : la dernière page étant le sommet, une vue grandiose sur l’ensemble du parcours et un dénivelé de quelques 300 pages !
Ce qui m’est apparu à la lecture de cette somme sur Lally, cette tragé-die innommable qui débouche sur une exécution en place de Grève laquelle a déjà vu tant et tant d’assassinats : truands ou innocents comme le fut, entre autres Étienne Dolet, sacrifié par les « amis de Jésus Christ »… Lally aussi lâ-chement abandonné de tous au moment le plus crucial de son existence ! Triste réflexion sur le comportement d’une lâcheté sans nom d’individus sans foi ni loi, ne se souciant que de l’instant présent pour préserver leurs intérêts…
Aujourd’hui encore les fausses nouvelles éructant de toutes parts des réseaux prétendument sociaux ressemblent à s’y méprendre aux calomnies non fondées qu’eut à affronter Lally. Les procès truqués sont légions en notre temps !
Ce livre admirable, on s’en imprègne doucement, comme pour une dé-gustation lente tant il est riche de détails parfois infimes mais qu’il ne faut pas sauter ; les notes sont approfondies : elles ont des racines profondes qui enla-cent le récit et le rendent encore plus massif.
Que de milliers d’heures englouties pour suivre ce héros aux multiples aventures, pas à pas comme dans un film —.un travail de chartiste. Chaque ligne est à suivre avec une attention soutenue pour ne rien omettre : une montée lente avec le pas rythmé du grimpeur. Attention de ne pas dévisser !
Ce qui fait la marque du style Garcin, c’est la précision absolue de tous les tableaux étudiés comme dans les toiles des maîtres hollandais du XVIIe siècle : une ciselure qui force l’œil à ne rien sous estimer… C’était déjà le cas pour Mathieu Bouvier où l’on pouvait suivre le réalisme des batailles napoléo-niennes comme si on y était. Idem pour Joséphine et le bel Hippolyte Charles, où la vie amoureuse croise une histoire politique tempétueuse. De même dans le récit de la vie de la Belle de Romans. J’ai toujours pensé qu’il y avait là un ma-gnifique film à faire avec ce « livre scénario » : dommage, Tavernier n’est plus.
À coté de la vérité historique, on sent la grande sensibilité pour son per-sonnage. Sa souffrance est insupportable : le côté inique de son procès révulse, l’humaniste sensible et plein de compassion pour ceux qui sont détruits par l’injustice, en ressentant, en un même séisme intérieur, ce que Voltaire a res-senti aussi en défendant Callas. Quant aux spasmes et aux accès de fièvre qu’il prenait le jour de la Saint-Barthélemy, ils étaient d’une rare violence….
Comme l’a justement souligné Jean Tulard, cet ouvrage « par les perspec-tives qu’il offre fait de lui un écrit de référence». C’est à la richesse de son con-tenu que l’on doit se référer pour un approfondissement toujours plus constant de ce XVIIIe siècle si riche et si complexe qu'on peut aimer avec passion.
Derniers livres sur Napoléon
Année napoléonienne par excellence à cause du bicentenaire de sa mort, 2021 a également constitué un moment béni pour l’édition, avec la publication d’excellents ouvrages apportant un renouvellement et un approfondissement des connaissances sur l’Empereur. Mentionnons tout d’abord le catalogue de l’exposition de La Villette : Napoléon, sous la direction de Bernard Chevallier et Arthur Chevallier (Paris, Éditions de la Rmn - Grand Palais, 2021, 272 pages). La revue L’Objet d’art a consacré 24 pages à L’année Napoléon dans son n° 577 d’avril 2021. Heureuses découvertes que celles présentées dans Dessiner pour Napoléon. Trésors de la secrétairerie d’État impériale, réalisées sous la direction d’Aude Roelly, Thierry Lentz et Marie Ranquet (Paris, Mi-chel Lafon, 2021, 216 pages). On les complètera par la mise au point de Thier-ry Lentz, Pour Napoléon (Paris, Perrin, 2021, 224 pages). Grâce à Jean-Philippe Rey, on aura su remonter aux origines avec Les hommes de Bona-parte. La conquête du pouvoir 1793-1800 (Paris, Perrin, 2021, 320 pages).
Nous voici maintenant en plein cœur de l’Atlantique Sud avec Charles-Éloi Vial et son Napoléon à Sainte-Hélène. L’encre de l’exil (Paris, Perrin / Bnf Éditions, 2018, 320 pages) et avec Pierre Branda et son Napoléon à Sainte-Hélène (Paris, Perrin, 2021, 654 pages). Après avoir rappelé qu’ont déjà paru, d’Emmanuel de Las Cases, Le mémorial de Sainte-Hélène. Le manuscrit retrouvé, texte établi, présenté et commenté par Thierry Lentz, Peter Hicks, François Houdecek et Chantal Prévot (Paris, Perrin, 2017, 832 pages) et, de Gaspard Gourgaud, le Journal de Sainte-Hélène, version intégrale, texte éta-bli, présenté et commenté par Jacques Macé (Paris, Perrin, 2019, XXXVI + 824 pages), on y ajoutera, d’Henri Gatien Bertrand, les Cahiers de Sainte-Hélène. Les 500 derniers jours (1820-1821), texte présenté, établi et commen-té par François Houdecek (Paris, Perrin, 2021, 432 pages) et, de Napoléon lui-même, les Écrits clandestins de Sainte-Hélène, édition établie par Pierre Bran-da, présentation de Thierry Lentz (Paris, Perrin, 2021, 298 pages).
Abordons les aspects militaires. Voici, par Jean-Pierre Le Glaunec, L’armée indigène. La défaite de Napoléon en Haïti (Montréal, Lux, 2020, 248 pages). Ensuite, deux rééditions de Jacques-Olivier Boudon : Napoléon et la campagne de Russie 1812 (Paris, Ekho, 2021 [1re édition : Armand Colin, 2015], 504 pages) et Napoléon et la campagne de France 1814 (Paris, Ekho, 2021 [1re édition : Armand Colin, 2014], 552 pages). La première sera complé-tée par les explications du gouverneur de Moscou, Fédor Rostopchine, La vérité sur l’incendie de Moscou et d’autres textes, dossier historique de Natalia Griffon de Pleineville (Paris / Bègles, L’Esprit du Temps, 2021, 296 pages) et les notes du général Armand de Caulaincourt, En traîneau avec l’Empereur, présenté et annoté par Christophe Bourachot (Paris, Arléa, 2021 [extrait des Mémoires parus en 1933 chez Plon], 278 pages). La seconde pourra être lue avec le texte de Michel Bernard, Hiver 1814. Campagne de France (Paris, La Table ronde, 2021 [1re édition : Perrin, 2019], 270 pages). Puis arrive la der-nière épopée, d’abord sous la plume de Charles-Éloi Vial, l’Histoire des Cent-Jours. Mars-novembre 1815 (Paris, Perrin, 2021, 672 pages), puis sous celle de Jacques-Olivier Boudon, Napoléon et la dernière campagne. Les Cent-Jours 1815 (Paris, Ekho, 2021 [1re édition : Armand Colin, 2015], 552 pages).
On en profitera pour donner des approches plus générales. Ainsi, Sté-phane Béraud étudie La révolution militaire napoléonienne (Paris, Perrin, 2021 [1re édition : Paris, Bernard Giovanangeli, 2007], t. I : Les manœuvres, 496 pages ; t. II : Les batailles, 496 pages) et Yann Cloarec rassemble divers textes de Napoléon sous le titre Comment faire la guerre (Paris, Mille et une nuits, 2021 [1re édition : 2003], 96 pages). Jean Tulard, lui, décrypte Marengo ou l’étrange victoire de Bonaparte (Paris, Buchet-Chastel, 2021, 208 pages). À la base, on dispose, d’Adrien-Jean-Baptiste-François, des Mémoires du ser-gent Bourgogne (1812-1813) (édition présentée et annotée par Sandrine Fili-petti, Paris, Mercure de France, 2021 [première édition tronquée en 1857 dans L’Écho de la frontière et in extenso en 1896 dans La Nouvelle Revue rétros-pective], 480 pages) et, du capitaine Jean-Roch Coignet, ses Cahiers, préface de Jean Mistler, avant-propos de Christophe Bourachot (Paris, Arléa, 2021 [1re édition : Auxerre, Perroquet, 1851-1853], 520 pages).
Enfin, quelques points particuliers se trouvent abordés. Vincent Petit décrit Napoléon saint. L’Empereur au Paradis (Besançon, Cêtre, 2021, 152 pages). Alain Frèrejean se penche sur Napoléon face à la mort, Paris (L’Archipel, 2021, 288 pages). Dans une thèse très discutable, Bruno Fuligni croit avoir retrouvé La fille de Napoléon (Paris, Les Arènes, 2021, 256 pages). Yannick Guillou, lui, s’attache à Napoléon et l’empire ottoman (Senones, Ed-histo, 2021, 432 pages). On terminera avec l’œuvre d’Édouard Bignon qui rédigea L’histoire de France de Napoléon, anthologie réalisée, introduite et annotée par Camille Duclert (Paris, Passés composés, 2021, 396 pages [édition originale : 1829-1850, 6 738 pages]), qui permet de suivre le point de vue de l’Empereur, qui lui avait demandé de l’écrire.
Jean Étèvenaux
Le coup de cœur d’Odile Gasquet
Nadeije Laneyrie-Dagen lance son roman historique dans le royaume de Castille, en Cantabrie, à Santona, petit port de pêche, en septembre 1472. Un pogrom se prépare, le quartier juif est menacé. Les parents de Yehohanan et Yehoyakim Cocia ordonnent, la mort dans l’âme, à leurs fils adolescents de fuir définitivement la péninsule où les juifs sont persécutés depuis l’avènement d’Isabelle de Castille.
Ils devront oublier leur judéité et prendre les noms de Juan et Joaquin. Leur mère a cousu dans la doublure de leurs capes un objet minuscule, un triangle en cuivre doré, la moitié d’un sceau de Salomon, la figure en étoile symbole des juifs. Cette étoile brisée pourra-t-elle être, un jour lointain, recons-tituée ? C’est l’intrigue principale qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page : ces deux frères, violemment séparés, parviendront-ils à se rejoindre ?
Or, rien n’est moins sûr : Joaquin, l’ainé, deviendra médecin de Martin Luther en Allemagne tandis que le cadet, Juan, deviendra navigateur et carto-graphe du célèbre Amerigo Vespucci. Leurs destins sont soumis aux aléas d’un contexte en expansion territoriale vertigineuse et en ébullition religieuse et so-ciale d’ampleur iné-dite au sein même de la chrétienté. Cela suffirait à alimenter un roman passionnant aux multiples rebondissements mais bien d’autres per-sonnages et intrigues secondaires vont s’entrecroiser.
A Séville, Amerigo Vespucci ramène de l’archipel des Canaries une fil-lette indienne guanche qui deviendra son épouse et lui donnera deux enfants ; la fille naturelle d’Amerigo, Lisandra, élevée par sa tante à Florence, se mariera avec Guido Liuciardi marchand siennois, successivement installé à Florence, Blois, Séville puis Londres. Tous ces personnages sont liés aux affres de leur époque : l’exécution de Savonarole en 1498, la publication des thèses de Martin Luther en 1517, son procès à Worms en 1521 puis son enlèvement par le prince de Saxe son protecteur ; les multiples expéditions vers le Nouveau Monde et sur le continent africain, Alger avec son marché aux esclaves ; en France, les ma-riages princiers au château de Blois puis la rencontre entre Henry VIII et Fran-çois Ier au Camp du Drap d’Or en 1520…
Ces faits historiques confrontent le lecteur, avec force et subtilité, aux drames de la colonisation, de l’esclavage, des persécutions religieuses et de l’In-quisition, des « indulgences » vendues par l’Église pour racheter les âmes du purgatoire, ce qui amène la naissance du protestantisme, les difficultés pour la médecine et l’astronomie à se dégager de l’obscurantisme religieux, l’essor du commerce international, l’importance du mécénat, les balbutiements de la carto-graphie… Ce roman foisonnant, extrêmement extrêmement bien écrit, est un véritable voyage dans le temps des débuts de la Renaissance. C’est un embar-quement et un enchantement d’un réalisme saisissant où la psychologie de cha-cun des personnages, très fouillée, donne un relief sensible et émouvant à l’en-semble de cette fresque.
Nadeije Laneyrie-Dagen, professeur d’histoire de l’art à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, auteur d’une quarantaine d’ouvrages dans son do-maine de recherche, livre un premier roman historique aussi érudit qu’attachant, ébouriffant que limpide, inattendu que puissant.
À offrir et à se faire offrir pour les fêtes de fin d’année, incontestable-ment.
Odile Gasquet