Editorial de : Jean Etèvenaux
Vous avez voté, lors de notre réunion du 13 décembre, pour nos deux Grands Prix. C’est donc ce 7 février que nous allons officiellement distinguer Isabelle de Chalon et Max Bobichon. Peut-on d’ailleurs imaginer profils plus différents que ceux de ces auteurs pourtant bien représentatifs de nos deux thématiques, la première réservée à la fiction et la seconde aux essais et documents ? Il sera d’ailleurs intéressant de les faire un peu parler sur eux-mêmes, tout comme sur la place que, dans leurs vies, tiennent l’écrit et l’écriture.
Lors de cette rencontre, nous découvrirons aussi d’autres auteurs et d’autres livres, qui seront peut-être primés à la fin de l’année. Vous en trouverez le détail dans la convocation jointe à ce n° 65 des Lettres de la Sélyre. D’ores et déjà, vous pouvez être certain de passer de bons moments en compagnie de Dominique Bertin, de Dubouillon, de Jacques Rossiaud et de Denis et Philippe Valode — sans oublier Gérard Chauvy, qui nous présentera son dernier opus se rapportant à une période qu’il connaît bien et dans l’exploration de laquelle il a souvent fait œuvre de pionnier. Alors, pour en savoir plus sur la Guillotière et Gerland, sur le sourire du caricaturiste du Progrès, sur la longue histoire médiévale de notre métropole comme sur l’Égypte antique et la Milice, ne manquez pas de venir ce premier jeudi de février. Et, comme d’habitude, faites-vous accompagner de vos amis et connaissances.
Parmi les auteurs à récompenser figurent aussi les poètes. Comme vous l’avez vu avec Charles Juliet la dernière fois, ce sont gens aussi discrets que sensibles. Il faut souvent aller à leur rencontre et leur forcer gentiment la main. C’est pour cela que nous avons créé le Prix André Seveyrat, destiné à honorer un auteur de poésie qui a publié un recueil chez un éditeur. De cela aussi n’hésitez pas à parler autour de vous. Dites aux personnes intéressées de se faire connaître et de prendre contact avec la Sélyre (toutes nos coordonnées figurent dans ce bulletin). C’est aussi la responsabilité de tous que cette contribution à une mise en valeur du langage poétique.
Bd : aventures aux quatre coins du monde
Avec parfois un dépaysement dans le temps, l’aventure demeure un ressort fondamental pour la bande dessinée. En voici quelques aspects avec des intrigues de type policier.
Dans le cadre des deux tomes d’Amazones (Glénat), Clarke et Borecki emmènent le lecteur au cœur de la guerre de Crimée, en plein milieu du XIXe siècle ; l’originalité vient du choix des forces britanniques confrontées à d’impitoyables guerrières koumanes combattant pour les Russes. Un peu plus tard, L’éveil du Léviathan, le troisième volume de Special Branch (Glénat), donne à Setter et Hamo l’occasion d’avancer dans la résolution d’une énigme entre les deux rives de l’Atlantique. Au début du XXe siècle, d’autres représentantes de ce sexe qu’on disait faible s’imposent dans le milieu breton des Chasseurs d’écume (Glénat) : le deuxième tome de Debois et Fino montre en effet 1909, les maîtresses du quai. Juste avant et après la Seconde Guerre mondiale, Ippóliti et Agrimbau ont brodé sur la jeunesse de Che Guevara pour faire revivre l’Eden Hôtel (Casterman) dans un premier tome évidemment intitulé Ernesto. Dans le cadre de la fin des années 50, Loustal et Götting appellent Pigalle 62.27 (Casterman) entre le sordide et la vengeance. Quant au Los Angeles de la décennie suivante, il revit dans Playmates 1961, le premier tome de la trilogie de Miss Octobre (Le Lombard) concocté par Desberg et Queireix.
Suivons maintenant des histoires plus contemporaines, en commençant par les dernières tribulations de Stéphane Clément dans Le piège ouzbek (le Lombard) imaginé avec toujours autant de réalisme que de sens de l’intrigue par Ceppi. On retrouve Sisco (Le Lombard) pour sa cinquième aventure, Kalachnikov Diplomatie, dont Legrain et Benc conteront la suite dans Négociations en 9 mm. On reste aux États-Unis, mais pas exclusivement, avec le premier tome de la deuxième saison d’Insiders (Dargaud), Narco Business, où Bartoll et Garreta font évoluer la belle et ambiguë Najah. Déplaçons-nous avec les deux volumes d’Agence Interpol (Dupuis), pour voir successivement Stockholm. Le maître de l’ordre, réalisé par Bergting et Runberg, et Mexico. La muerte, dû à Marty et Thirault. Pour le troisième titre de la saison 2 d’Enchaînés (Vents d’Ouest), Callède et Gihef exposent comment certains ce que peuvent être les Châtiments. On plonge ensuite au plus sombre de la franc-maçonnerie avec le deuxième tome de La conjuration des vengeurs (Glénat) : Savey et Ternon y dissèquent Les nobles voyageurs. On arrive enfin au terme de la ballade des Sept balles pour Oxford (Le Lombard), où Quintanilha, Zentner et Montecarlo en montrent toute La vulnérabilité.
Achevons par quelques héroïnes hautes en couleur. Grâce à Amond et Van Hamme, Lady S (Dupuis) connaît La raison d’État. De son côté, La Contessa (Glénat) se meut dans le cambriolage avec désinvolture et charme, notamment lorsqu’elle se montre intéressée par Les larmes du condottiere, un fabuleux collier imaginé par Crisse et Herval. Enfin, l’association de Vivès, Ruppert et Mulot nous vaut un ouvrage plein d’inattendus et assez décalé, La Grande Odalisque (Dupuis), dont on aimerait connaître d’autres épisodes.
Gihé
Heureuses rééditions de bandes dessinées
Rééditer des bandes dessinées parues il y a plus ou moins longtemps permet de retrouver souvent ce que l’on a aimé autrefois, parfois même dans sa prime jeunesse, mais aussi de découvrir, à l’aide de l’appareil critique publié aujourd’hui, des aspects inconnus de ces œuvres. Cela se vérifie particulièrement avec les grands noms de la bd.
Le travail effectué par Jean-Marie Embs et Philippe Mellot pour les éditions Moulinsart et exclusivement distribué par Atlas permet d’avoir à sa disposition Les Archives Tintin, qui s’étendent maintenant au-delà du héros éponyme ; cela avait déjà été le cas dans L’œuvre intégrale d’Hergé parue chez Rombaldi en 1984-1986, mais n’y étaient reprises que les dernières versions. Après Tintin au pays des Soviets — avec une belle couverture toilée rouge ! — et Tintin et l’alph-art, voici, pour Les aventures de Jo, Zette et Jocko, Le “Manitoba“ ne répond plus, L’éruption du Karamako et Le Testament de M. Pump, en attendant Destination New York ; pour ces derniers titres, on peut relever les principales différences entre la version originale destinée en France à Cœurs vaillants et celle retouchée pour Le Petit Vingtième en Belgique. On y ajoutera la réédition du hors-série de GéoVoyage paru en 2000, Le tour du monde de Tintin. Profitons-en pour mentionner la sortie du deuxième volume de l’étude publiée conjointement par Le Point et Historia, Les personnages de Tintin dans l’Histoire.
Deux rééditions concernent la même école de dessin, dans le sillage de Jacques Martin, avec sa prolifique série des Voyages de… Ceux de Jhen permettent la ressortie de Haut-Kœnigsbourg, paru initialement en 2006, et Les voyages d’Alix des deux tomes du Rome dessiné par Gilles Chaillet en 1993-1995 et ici réunis en un seul volume, le tout chez Casterman.
Dans l’invraisemblable production d’albums concernant Gaston Lagaffe, signalons celui estampillé S.2, dont on retiendra plus facilement le titre, Le génie de Lagaffe (Dupuis). Pour la petite histoire, rappelons qu’il est dû à la collaboration de Franquin et de Jidéhem, dont le véritable nom est Jean De Mesmaeker, le même patronyme que celui d’une des principales victimes des gags dudit Gaston…
Voici maintenant, toutes publiées chez Dupuis, des intégrales qui permettent de se plonger à nouveau dans des séries devenues classiques. Viennent ainsi de sortir le n° 3 de La patrouille des Castors (1960-1963), le 4 des Petits hommes (1976-1978), le 5 de Jerry Spring (1966-1977) — c’est donc le dernier —, le 7 de Buck Danny (1958-1960) et le 12 de Tif et Tondu (1990-1993).
Dans un autre genre, grâce aux éditions Artège, on revoit également d’anciennes productions. Ainsi celle d’un grand nom du genre, Marijac, qui avait réalisé avec Noël Gloesner Dolorès de Villafranca, sorti en 1960. De même, toujours pour les jeunes, on découvre les deux tomes des aventures de Yum Yum, Un mariage mouvementé ! et Belles et rebelles, signées d’un prolifique auteur disparu, Jean Sidobre, qui s’est d’ailleurs surtout fait connaître par des bandes dessinées érotiques sous le pseudonyme de Georges Lévis.
Cette dernière mention amène à Giuseppe Bergman - Aventures mythologiques (Drugstore), un chef d’œuvre de Milo Manara. L’album du maître de la bd érotique est enrichi de dessins, en noir et blanc ou en couleurs, parmi lesquels on voit apparaître son ami Hugo Pratt.
Saluons par ailleurs l’initiative des éditions Dupuis d’accueillir un auteur aussi intéressant qu’inclassable, Serge Clerc, pour son intégrale de Phil Perfect. Nous sommes là aux confins des courants classiques et plus contemporains pour une suite endiablée de quelque 300 pages.
Enfin, n’oublions pas cette autre forme de classicisme que représente l’univers de Walt Disney. Méthodiquement, Glénat poursuit son travail d’exhumation et de mise en valeur de ceux qui ont donné un visage aux plus célèbres animaux de la bd. C’est ainsi que vient de sortir le tome 9 de La dynastie Donald Duck réalisé par Carl Barks en 1958-1959. S’y ajoutent les volumes 3, 4 et 5, toujours en grand format, de L’âge d’or de Mickey Mouse, dessinés par Floyd Gottfredson entre 1939 et 1966. Pour les petits et les grands.