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Liste de nos auteurs :

Jean-François Chemain

photo de l'auteur

Né le: 13/04/1961

Adresse: 24, rue des Remparts d'Ainay 69002 Lyon

e-mail: jchemain@club-internet.fr

Site web:

Adhérent(e) à la Sélyre

Biographie:

Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris,

diplômé d’Études approfondies de droit international et agrégé d’Histoire; termine actuellement une thèse d’Histoire du droit.

Il a exercé pendant une dizaine d’années le métier de consultant international dans plusieurs cabinets anglo-saxons, avant de devenir cadre dirigeant dans un grand groupe industriel français.

Depuis 2006, il a choisi d’enseigner l’Histoire, la Géographie et l’Éducation Civique à Vénissieux-Les Minguettes dans un collège de Zone d’Éducation Prioritaire de la banlieue lyonnaise.

Bibliographie:

Extrait de:

Kiffe la France

EXTRAIT 1:
________« L. Berger (Conseiller Principal d’Education) a organisé une réunion de tout le personnel du collège de la rue Lénine, après le déjeuner. Il semble anormalement grave et tendu. On comprend vite pourquoi.

Depuis quelques semaines, une élève de 3e, Noëlle, avait l’air ailleurs. Toujours pâle, plus silencieuse, plus absente. Je ne m’en suis pour ma part pas inquiété, cette petite blonde d’apparence fragile n’ayant jamais manifesté d’intérêt particulier pour ma matière, pas plus que pour aucune autre d’ailleurs. Discrète et peu charismatique, elle est le plus souvent seule, comme beaucoup de ces « souchiens » qui n’ont pas à faire valoir dans le voisinage de clan, d’innombrables fratries et cousinages (quoique Rachida Kieffer, une élève de 6e, soit venue me dire que Noëlle était « sa tante »). Sa mère, d’apparence très humble, a élevé ses filles, dont Noëlle est la dernière, et mon coeur se serre, chaque fois que je vois la mère, devant l’image de ce que peut-être la petite sera plus tard, à force de misère, de travail et de tristesse.

Mais, à quinze ans, elle est tout à fait ravissante, proie rêvée pour prédateurs en herbe. Comme elle maigrissait à vue d’oeil, on s’est inquiété à l’infirmerie. Et puis voilà que Tania, une autre élève de 3e, a semblé éprouver à son tout un malaise, qui prit un caractère « social » : outre que son visage pâlissait, se tendait, se durcissait, elle parut soudain au ban de la classe. Personne ne lui parlait plus, sinon pour l’insulter : « Poucave ! », synonyme de « balance ». On demanda alors aux professeurs de guetter les symptômes du mystérieux drame qui semblait couver, et d’en rendre compte. Une lourde atmosphère pesait désormais sur le collège, les visages de la direction et de Nathan, l’infirmier, devinrent anormalement graves. J’entends des bribes de conversation : « police », « garde-à-vue ». Tania s’absenta une journée avec Nathan, qui nous exhorta, à son retour, à veiller sur la sécurité de la petite. Mais que se passait-il donc ?

M. Berger nous en donne l’explication. Noëlle aurait été, il y a quelques semaines, violée dans les toilettes d’un jardin public voisin du collège par deux élève de 3e, Achour et Mohamed, qui lui auraient fait, sous la menace de représailles, jurer de garder leur crime secret. Elle s’en serait pourtant ouverte à Tania qui, au spectacle du désespoir muet de sa camarade, aurait décidé de rompre le silence, et d’aller tout raconter à la direction du collège. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, la réprobation des élèves – et même celle des filles, qui sont parmi les plus déchaînées – ne va pas aux deux présumés coupables, mais à la victime, « une fille facile », « une pute », et à la délatrice, « une poucave ». L’ire vengeresse qui les poursuit dépasse le collège pour s’étendre à tout le quartier, et même bien au-delà. » (p. 72)

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EXTRAIT 2:
________« Les violences, physiques et verbales, entre garçons et filles sont générales au collège. Marianne, une collègue d’Histoire-Géographie, a organisé un module de sensibilisation au respect de l’autre. Toutes les 6e doivent y passer, pendant une heure, au CDI. En 6eB, ces tensions « inter-sexuelles » recouvrent largement des « tensions inter-religieuses »! L’ambiance y est en effet, depuis le début de l’année, des plus tendues. La classe se divise, et c’est très bien, en deux moitiés à peu près égales entre garçons et filles, mais le malheur veut que les premiers soient à peu près tous musulmans, au contraire des secondes. De ce fait, à l’animosité que l’on trouve souvent à cet âge pré-pubertaire, entre les deux sexes se superposent, je le découvre avec stupeur, une véritable guerre de religions. A chaque intercours, à la récréation, dans la rue, les garçons frappent les filles, ou bien leur lancent violemment des ballons en cours de sport. Les insultent pleuvent : « sale chienne, sale chrétienne, sale truie… » Le professeur principal de la classe est assiégé des plaintes des filles, mais aussi – et même avant – de celles des garçons. Les petites ne se laissent en effet pas faire, et répliquent du tac au tac, sur le même registre, ce qui fait que la première récrimination que j’enregistre concerne une « insulte à l’islam ». Je n’ai aucun mal à découvrir, après enquête, que le plaignant, Youcef, un garçon particulièrement violent qui sera d’ailleurs renvoyé en cours d’année, avait largement commencé sur ce registre avant d’essuyer une riposte d’autant plus virulente que le petit bout de blonde qui ne s’est pas ainsi laissé traité de « sale chrétienne », Debbie, a pour modèle Arlette Laguiller. « Car elle nous mènera au bout de la lutte », m’a-t-elle écrit dans un devoir d’Education Civique.

Nous passons donc une heure à noter sur un paper board les résolutions que les uns et les autres, dûment chapitrés, s’engagent à prendre pour l’avenir. La sonnerie délivre Youcef de ce supplice et, soulagé, il s’écrie en sortant de la salle : « Chouette, on va pouvoir recommencer à cogner ! » (p. 78)

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EXTRAIT 3:
________« M‘sieur, j’ai rêvé de vous cette nuit ! » me lance tout à coup, et hors de tout propos, Dounia, une élève particulièrement difficile que, pour ma plus grande fierté, je suis parvenu à apprivoiser. Et d’ajouter aussitôt : « j’ai rêvé que vous étiez devenu musulman et que je vous rencontrais à la mosquée ! » « C’est très gentil de me dire ça, Dounia ! Mais je ne vais pas à la mosquée ! » « Vous êtes chrétien, M’sieur? »

L’idée ne semble pas traverser un seul instant l’esprit de nombre de  mes élèves qu’une personne normalement constituée puisse ne pas être musulmane. On peut avoir, dans notre vieux pays catholique, une stupeur dans la voix, tant le fait est choquant, quand on demande à quelqu’un : « Vous êtes chrétien? » (p. 89)

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EXTRAIT 4:
________« Heil Hitler ! » Les trois ados – Driss, Rachid, et Julien, un indien de confession hindoue – me saluent de leur place, dans un garde-à-vous impeccable, le bras tendu. Rachid, fier héritier d’une dynastie de militaires algériens, de Verdun au FLN en passant par le Mont Cassin, a même assorti le geste d’un impeccable claquement de talons. « Asseyez-vous tous ! » Je fais d’abord l’appel, l’air de rien.

« Bien. Maintenant, les trois, là, expliquez-moi ce que c’est que cette nouvelle mode de me saluer à l’hitlérienne? ! Alors Driss ? »
- Ben c’est que, M’sieur, on est pressés d’étudier les nazis !
- J’en sais quelque chose, Driss, depuis le temps que tu dessines des croix gammés sur le tableau, assorties de « vive Itlère » ! Mais pourquoi les nazis ? Il y a quand même d’autres sujets passionnants dans le programme de l’année !
 » (p.99)

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EXTRAIT 5:
________« De la première rangée où il est assis, Driss, penaud, susurre : « Qu’est-ce que vous pensez du film « Des hommes et des dieux » ?

- Pardon ?
- Non. Rien. J’ai rien dit.
- Mais si, tu as dit quelque chose, et je n’en reviens tellement pas que je voudrais l’entendre encore !
- Non, j’ai rien dit.
- Alors je vais le répéter à ta place : tu m’a demandé si j’avais vu le film « Des hommes et des dieux« . Et je vais te répondre : oui, je l’ai vu. Et toi ?
- Ben ouais !
- Et qu’est-ce que tu en as pensé ? Ca t’a plu ?
- Ouais.
- Moi ça m’a carrément bouleversé, j’en ai même pleuré, et puis je n’en ai pas dormi de la nuit.
- Moi aussi, je l’ai vu, se risque à son tour Julien, moi aussi j’ai pleuré !
- Et toi, Driss, tu as aussi pleuré ? »

Driss ne répond rien. (p. 102)

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EXTRAIT 6:
________Je pousse mon plateau juste derrière Nassim, un élève de 6e des plus difficiles. Sa mère a trois garçons, nés de trois pères différents. Elle est éreintée par les ménages, usée, bien sûr débordée. Ses fils sont tous placés, dans des foyers différents. Nassim est intenable en cours, violent, insolent, rebelle. Il professe bruyamment sa foi. Comme en début d’année l’assistante sociale du collège faisait remplir à la classe une fiche où, entre autres questions, était demandé : « Quelle est la personne à qui vous vous sentez le plus attaché ? », il avait répondu : DIEU. Tous ses voisins se sont crus obligés de l’imiter, tant en la matière la surenchère collective est de règle. En face de la question :  » quel métier souhaiteriez-vous exercer plus tard ? », il a juste écrit : « Mafia ». Un joyeux drille, donc, contre lequel n’a pas tardé à s’exercer toute la rigueur des règles disciplinaires dans le collège.

Au milieu de la file, Nassim se retourne vers moi, plante ses yeux noirs dans les miens, et me demande à brûle-pourpoint :

« M’sieur, vous l’avez vu, vous, le film « La Passion du Christ »? » J’en suis resté la bouche ouverte, ne sachant quoi répondre.
- Pourquoi me demandes-tu ça?
- Ben parce que… parce que je l’ai regardé au foyer. »

Je me suis promis de lui répondre, plus tard… Sans toutefois être en droit de lui annoncer l’essentiel : que peut-être la souffrance du Christ, c’était la sienne à lui, Nassim, et qu’il fallait qu’il la Lui confie. La laïcité m’interdit tout message public d’Espérance.

J’ai finalement préparé quelque chose dont je me suis trouvé satisfait. Mais je n’ai pu le lui dire, car ne l’ai jamais revu : le lendemain, il avait été renvoyé. (p. 113)

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EXTRAIT 7:
________« A la sonnerie, Fares et Bouzid, se précipitent vers moi. Bouzid parle le premier : « L’autre jour, vous avez dit à Fares que certains versets du Coran appelaient à tuer les chrétiens…
- Oui je l’ai dit !
- Eh bien je me suis renseigné : c’est seulement quand les chrétiens agressent les musulmans qu’ils doivent se défendre !
- Ouais, Bouzid a raison : nous quand on nous agresse, on doit pas se laisser faire !
- Et d’ailleurs il y a un complot mondial contre notre religions, c’est sur internet ! Quand vous retournez une bouteille de coca-cola, vous voyez écrit, en arabe : « pas de Mohamed, pas de Mecque », et aussi vous voyez clairement un homme blanc en train d’uriner sur la tête d’un noir ! Et c’est écrit : « Shalom »…
- Et puis aussi sur les paquets de Marlboro, il y a le signe du Ku Klux Klan ! Et le logo des chaussures Puma, il insulte l’islam.
- Et Adidas, ça veut dire : « Attention danger, ici des arabes sauvages »!
- Attendez, les gars, c’est n’importe quoi ! Tu délires complètement, Bouzid, avec ton histoire d’Adidas !
- C’est ce que je disais avant,  mais à force de me le répéter, j’ai fini par m’en persuader !
- De toutes façons, il y a les illuminati, c’est une secte américaine et juive, ils ont pour but de détruire l’islam, partout dans le monde. Il y a plein de gens qui en font partie, Bush, Sarkozy, et même Djamel Debouzze !
- Et vous croyez à toutes ces salades ! C’est terrifiant ! Et c’est pour vous défendre contre ça que vous avez le droit d’être violents ?
- Tout ça c’est vrai, c’est sur internet, tout le monde le sait bien ! »
(p. 133)

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EXTRAIT 8:

_______« Une parole a un jour « retourné » Souhila. Comme, une fois encore, un puissant vent de colère s’était levé dans la classe sur le thème sempiternel que « personne n’aime les musulmans » – j’ai oublié à quel propos, mais sur ce thème tous les propos sont propices – j’ai sans rien répondre inscrit au tableau ces mots de Jean Vanier :

« On dit souvent : « si tu m’aimes, je t’aimerai » ; ne serait-il pas plus juste de dire : « si je t’aime, tu changeras, et moi aussi ? »

Et j’ai ordonné que chacun l’écrive sur son cahier. « C’est la seule chose que je vous demande de retenir de la leçon d’aujourd’hui. Cessez de vous plaindre qu’on ne vous aime pas, de détester , sous ce prétexte commode, l’humanité entière. Si vous n’avez aucune prise sur les sentiments qu’on vous porte, vous êtes les seuls maîtres de ceux que vous portez aux autres. N’attendez donc pas qu’on vous aime, aimez les premiers, et peut-être qu’alors le regard des autres sur vous changera ! »

Le visage de Souhila s’illumina. Elle nota avec soin la phrase de Jean Vanier sur la couverture de son classeur. « Oui, c’est cela qu’il faut faire ! Je vais mettre ces mots sur la première page de mon blog ! » Elle n’était plus ni agitée, ni accablée, simplement joyeuse d’avoir trouvé une fenêtre dans le bunker où elle était, où on l’avait enfermée. » (p. 169)

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EXTRAIT 9:
________
« Je suis persuadé qu’une bonne partie de la colère de cette jeunesse, qui pourrait bien se muer en irréparable violence, prend sa source dans le refus de notre société d’épancher sa soif d’absolu. Rabelais pensait que « le rire est le propre de l’Homme », je crois pour ma part que c’est le sens du sacré. C’est bien cela, me semble-t-il, qui distingue les premiers êtres humains des animaux, la certitude d’un au-delà, d’un ailleurs, qui a conduit nos ancêtres à pratiquer des rites funéraires. La négation de l’évidence de Dieu est récente, et limités à notre civilisation post-chrétienne. Elle a engendré les horreurs totalitaires d’un XXe siècle qui, faute de Dieu, a divinisé l’Etat et le Parti. La carte du désespoir, de la drogue, du suicide, recouvre aussi celle de nos sociétés libres et développées, parce qu’anciennement chrétiennes. Et à ces jeunes, nous n’avons de cesse d’imposer ce modèle proprement inhumain ! Faites l’amour, homo, hétéro, bi, dès la 6e, mais surtout mettez une capote, sinon vous attraperez le SIDA ! Le dimanche, n’allez pas à la messe (ou le vendredi à la mosquée), masturbez-vous ! Mais surtout, ne nous parlez pas de Dieu, c’est proprement indécent ! C’est, je le crois profondément, cette image d’une société monstrueusement matérialiste que la jeunesse des banlieues, sans en avoir conscience, détruit quand elle pille les magasins ou brûle les voitures, qui en sont autant de symboles.

Elle a donc un rôle à jouer dans notre Histoire, et nous devons lui en rendre grâce : celui de nous rappeler à l’exigence naturelle du sacré, dont nous avons cru, pendant deux cents ans, pouvoir faire l’économie. Quinze siècles de christianisme nous ont apporté la liberté, la prospérité, le sens du respect de la personne… Nulle part, ailleurs que dans les pays de culture chrétienne, ces valeurs ne sont pleinement respectées. Nous nous sommes naïvement imaginés d’une part qu’elles étaient « naturelles » et universelles, ce qui est loin d’être le cas, d’autre part que nous pouvions les vivre sans limites, et en rupture totale avec leur fondement religieux. Cette illusion  montre aujourd’hui qu’elle avait bien, en fait, une limite, et en rupture totale avec le fondement religieux. Cette illusion montre aujourd’hui qu’elle avait bien, en fait, une limite, puisqu’elle conduit nos sociétés au suicide démographique, écologique, moral. Jusqu’à laisser un grand vide qui se remplit d’autre chose, bien différente. » (p. 230)


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