Temps radieux ce samedi 24 septembre 2011 pour notre visite de la ville et du château de Voltaire.
Henri Duranton, spécialiste universitaire du XVIIIème siècle nous reconte brillament la vie de Voltaire et ses oeuvres littéraires. Enrichissante introduction à ce voyage, nous arriverons à Ferney sans encombre.
Découverte de cette ville dessinée par Voltaire, il exploita toutes les organisation et techniques les plus innovantes, batiment, santé, machines agricoles et industries, de l'époque pour sortir ce bourg d'une centaine d'habitants de la misère.
Lui qui voulait être d'abord un écrivain de théâtre restera d'abord l'une des plus grandes figures de la philosophie qu'il mettra d'ailleurs en
pratique.
Quand Voltaire passait par Lyon...
La brouille entre Frédéric II de Prusse et Voltaire était consommée : en mars 1753, l’écrivain avait été remercié sans façon. « ...Il ne recouvra sa liberté de mouvement que le 7 juillet. Mais où aller ? Il est presque partout proscrit et indésirable... » Il ne s’installera pas à Francfort, où il redoutait encore la rancune du roi de Prusse, ni en Alsace où un scandale l’accablait : « Il fuit, passe par Plombière, Senones, Lyon, où le cardinal de Tencin, peu soucieux de plaire à ce personnage encombrant, lui conseille de poursuivre
son chemin. "Vous n’êtes pas bien avec la cour, je ne peux vous garder à dîner..." (1).
Son secrétaire, Collini, attestera pourtant qu'il fit d'autres rencontres plus agréables, dans cette ville de Lyon où il avait débarqué le 15 novembre 1754 et qui semblait concilier deux choses « qui paraissaient incompatibles » : le commerce et les lettres. « Voltaire y trouva M. de Bordes, l'abbé Pernetti et plusieurs savants qui s'empressèrent de lui en rendre le séjour agréable. Il fut invité à une séance de l'Académie des Sciences et Belles-Lettres où on le reçut avec toute la distinction due à son nom et à ses écrits. Il passa quelques jours avec le maréchal de Richelieu » (2).
/> Quoi de plus normal que cet accueil de notre Académie puisque, dès 1732, Voltaire a correspondu « avec Claude Brossette, lié à Boileau et bien connu dans la cité comme avocat et comme secrétaire perpétuel de l’Académie parmi les fondateurs de laquelle il figure ; en 1745, il en devient membre associé. C’est l’époque où, un tantinet flagorneur, Voltaire écrit que “Lyon sera bientôt plus connu par ses académies que par ses manufactures“ » (3).
Il n’empêche. Voltaire finit par trouver Lyon trop fade à son goût en se plaignant, qui plus est, de son logis inconfortable, ce qui n'avait rien de flatteur pour l'hôtel du Palais Royal où il était descendu et d'où il écrivit, le 20
novembre, au comte d'Argental : « Je ne sais où je vais ni où j'irai. Je voyage tandis que je devrais être au lit : et je soutiens des fatigues et des peines qui sont au-dessus de mes forces ». Voltaire, éternel mourant, exagérait sans doute. Mais l’accueil très froid du cardinal de Tencin finit de le convaincre : « Mon ami, dit-il à Collini, ce pays n'est pas fait pour moi ». Et de quitter Lyon pour Genève où il arriva en décembre 1754 avant de s’installer un peu plus tard, durablement, à Ferney.
Gérard Chauvy
(1) Guy Chaussinand-Nogaret, Voltaire et le Siècle des Lumières, Complexe, 1994
(2) Collini, Mon séjour auprès de Voltaire, Paris, 1807
(3) Jean Étèvenaux, Les Grandes
Heures de Lyon, Perrin, 2005
Voltaire et Rousseau :
duel au siècle des Lumières
Pour introduire notre visite à Ferney-Voltaire, suivie par l’année Rousseau en 2012, voici quelques réflexions sur les deux écrivains.
Champion de la société organisée contre chantre de la nature : Voltaire (1694-1778) et Rousseau (1712-1778) ne se sont rencontrés qu’une seule fois mais ils s’entredéchiraient régulièrement par littérature interposée. Rousseau dans Les Lettres écrites de la Montagne (1764)
reprocha à Voltaire de ne pas croire en Dieu. Celui-ci rétorqua de manière cinglante par une Lettre au docteur Pansophe. On peut y lire : « Docteur Pansophe (1), vous vous êtes fait le précepteur d'un certain Émile, que vous formez insensiblement par des moyens impraticables ; et pour faire un bon chrétien, vous détruisez la religion chrétienne. Vous professez partout un sincère attachement à la révélation, en prêchant le déisme, ce qui n'empêche pas que chez vous les déistes et les philosophes conséquents ne soient des athées. J'admire, comme je le dois, tant de candeur et de justesse d'esprit, mais permettez-moi de grâce de croire en Dieu. Vous pouvez être un sophiste, un mauvais raisonneur, et par conséquent un écrivain pour le moins inutile, sans que je sois un
athée. L'Être souverain nous jugera tous deux ; attendons humblement son arrêt. Il me semble que j'ai fait de mon mieux pour soutenir la cause de Dieu et de la vertu, mais avec moins de bile et d'emportement que vous. Ne craignez-vous pas que vos inutiles calomnies contre les philosophes et contre moi ne vous rendent désagréable aux yeux de l'Être suprême, comme vous l'êtes déjà aux yeux des hommes ? »
Voltaire a dit pis que pendre de Jean-Jacques Rousseau, dont ce sera, en 2012, le troisième centenaire de la naissance. Surtout à partir de 1760 où les relations entre les deux hommes s’enveniment nettement. En juin 1760, Rousseau adresse directement à Voltaire cette lettre extraordinaire où, tout en l’assurant de son admiration et de son respect intacts, il lui dit : « je
vous hais » et lui en explique les raisons avec ce mélange de sincérité et d’outrance dont il est coutumier. Jean-Jacques, il est vrai, ne va pas bien : il se brouille, à cette époque, avec Diderot, avec Grimm, avec Mme d’Epinay. Il se croit persécuté de tous, en butte à des complots, exposé à toutes sortes de rumeurs. « Je voudrais que Rousseau ne fût pas tout à fait fou, écrit Voltaire à d’Alembert, mais il l’est. Il m’a écrit une lettre pour laquelle il faut le baigner et lui donner des bouillons rafraîchissants. » (1)
Alain Horvilleur
(1) Pansophie : connaissance universelle, omnisciente, qui élève la pensée vers le divin en partant du monde concret. Étymologie : du grec pan, tout, et sophia, sagesse.